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Poc poc poc

Photo: Jacques Boisonnot/La Presse Canadienne

A-t-il dit «poc poc poc»? À la suite de l’affrontement entre la députée péquiste Agnès Maltais et le ministre de la Santé en chambre, mercredi matin, l’entourage du ministre a jugé avisé de minimiser le geste du ministre en affirmant qu’il n’aurait dit que «papote, papote».

Papoter : Verbe intransitif. Familier. Bavarder intarissablement, dire des choses insignifiantes.

Donc, entre un caquètement et un verbe réducteur généralement employé pour réduire le discours féminin, les conseillers du Dr Barrette ont cru que le second serait moins pire? C’est dire si on part de loin.

En entrevue, toutefois, le ministre assurait qu’il n’avait dit que «parle parle parle» et, de toute son arrogance, invitait madame Maltais à visiter une ferme pour découvrir le son que font véritablement les poules. Il a aussi ajouté que la députée «s’époumonait», comme si s’exprimer sur un sujet qui touche les femmes n’était que du vent.

Bien sûr, il serait outrageux que le ministre ait véritablement caqueté. Depuis toujours, la poule a été l’animal le plus utilisé pour limiter la femme sous tous les angles possibles, de la jacasseuse – même si le jacassement est officiellement le cri de la pie – à la poulette que l’on exploite sexuellement en passant par la poule pondeuse qui rempli quotidiennement son rôle reproducteur sans broncher. Imiter la poule pour taire le discours féminin est probablement la chose la plus outrageuse qu’un élu puisse faire.

C’est dans ce contexte que «parle parle parle» devient soudainement acceptable. Mais l’est-ce réellement?

Rappelons que la députée Maltais présentait une motion réaffirmant le droit des femmes à l’avortement. Motion que le gouvernement a refusé d’accepter. Ce matin-là, le Devoir rapportait l’inquiétude de groupes crédibles comme le Centre de santé des femmes ou la Fédération du Québec pour le planning des naissances quant à l’accès à l’avortement dans le cadre du projet de loi 20. En entrevue le matin, le ministre ne faisait rien pour calmer le jeu en évoquant «les dérives de l’avortement».

Or, lorsqu’il est question d’avortement, je crois qu’il serait bien de rappeler quelques notions de bases, popularisées notamment pas Lise Payette en 1969 dans un discours maintenant célèbre:

  1. «Messieurs, aucune femme normalement constituée et saine d’esprit ne se fait faire un arrêt de grossesse par caprice», disait-elle. J’aimerais bien que le Dr Barette, qui, à ce que je sache, n’a pas d’utérus, nous explique ce qu’il entend lorsqu’il parle de «dérives».
  1. Et aussi, en 1969, dans le bill Omnibus qui décriminaliserait l’avortement à certaines conditions, il était question de devoir passer devant un comité de médecins qui confirmeraient que l’avortement est nécessaire à la santé physique ou mentale de la femme. Ce à quoi Lise Payette répondait : «Je refuserai de comparaître devant mes trois juges pour étaler ma misère et ma peine, pour raconter ma vie et mes angoisses avant d’obtenir le petit papier dûment signé qui fera de moi à nouveau une femme profondément humiliée». Autrement dit, ne serait-ce que l’ombre de ce qui ressemble à devoir demander une permission constitue une atteinte au droit à l’avortement. Or, selon les expertes en santé reproductive des femmes, c’est un peu ce que le projet de loi 20 favoriserait en pénalisant les médecins de famille des femmes qui décideraient d’avoir une IVG sans les avoir d’abord consultés.

Privilège : n. m. avantage particulier considéré comme conférant un droit, une faveur, à quelqu’un, à un groupe.

C’est du haut de plusieurs de ses privilèges que le ministre Gaétan Barrette a réduit le temps de parole de la députée Agnès Maltais en chambre mercredi matin par son attitude antiparlementaire.

Du haut de son privilège d’élu, qui lui confère le droit de proposer et d’amender des lois tout en représentant au meilleur de ses capacités le peuple (y compris la moitié de celui-ci qui possède un utérus).

Du haut de son privilège de médecin, qui possède des connaissances lui conférant une certaine autorité en matière de santé et qui vient rarement sans un privilège de classe.

Du haut de son privilège de Ministre, qui lui confère un certain pouvoir exécutif.

Et, bien sûr, du haut de son privilège d’homme, qui fait en sorte qu’il n’aura jamais à recourir à une interruption volontaire de grossesse, ce sujet si léger à ses yeux qu’il a valu à la députée Maltais de se faire répondre «parle parle parle».

Ou était-ce «poc poc poc»?

Peu importe. Sa condescendance donne à croire que ce qu’il pensait vraiment d’Agnès Maltais à ce moment-là était encore moins parlementaire.

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