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Pour les droits des femmes… privilégiées

Une importante discussion se déroule à l’heure actuelle en commission parlementaire en matière de droits civiques. On en parle peu parce que la chose touche une proportion relativement restreinte de la population : les personnes trans et leurs familles. L’enjeu à l’issue : un projet de règlement permettant le changement de nom et d’autres qualités de l’état civil, notamment les mentions de sexe, pour les personnes transexuelles et trangenres.

Ce règlement vise à faciliter les demandes de modifications à l’état civil de façon à ce qu’une personne trans n’ait plus à procéder à des chirurgies de réassignation sexuelle afin que sa demande soit reconnue comme légitime. Les personnes trans ne ressentent pas toutes le besoin de modifier leur corps pour que leur identité de genre soit reconnue. Bien que ces chirurgies de réassignation puissent répondre à un besoin tout à fait légitime, notons que ces procédures tendent à rendre les personnes trans stériles.

Pour illustrer un sentiment d’aliénation face au sexe qu’on leur avait assigné à la naissance, plusieurs personnes trans ont longtemps déclaré « ne pas être nées dans le bon corps ». Or, ce discours dévalorisant pour le corps trans est remis en question aujourd’hui alors que des femmes trans revendiquent le droit d’être considérées comme des femmes tout en ayant un pénis, et que des hommes trans souhaitent préserver leurs organes génitaux féminins et leurs capacités reproductives sans se sentir moins hommes pour autant.

Selon le nouveau règlement proposé, les personnes trans devraient maintenant «déclarer vivre en tout temps, depuis au moins deux ans, sous l’apparence du sexe pour lequel un changement de mention est demandé». Cette condition a fait bondir tant le milieu LGBT que les groupes féministes, qui y voient un recul à la faveur des stéréotypes de genre. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse soulevait dans son mémoire déposé cette semaine la difficulté de mettre en pratique un tel règlement. En effet, qu’est-ce qu’une «apparence de sexe»? Soulignons aussi la vulnérabilité dans laquelle cette condition plonge les personnes trans : durant deux ans, elles devraient vivre selon une identité qui ne correspond pas à leur identité civile, ce qui pose un tas de pépins dans toutes les situations où on vous demande de vous identifier.

Depuis mercredi, la commission a entendu les témoignages touchants de personnes trans, dont celui d’Olie Pullen, cette jeune fille qui a raconté, accompagnée de sa mère, le stress qu’elle subit chaque fois qu’on lui demande de présenter des papiers d’identité qui ne reflètent pas qui elle est : à l’aéroport, lors des examens d’entrée au secondaire, à l’urgence. «Chaque fois que je passe les douanes, mes parents doivent expliquer à des étrangers que je suis une enfant trans», dit-elle. Son témoignage et l’appui de sa mère sont le genre de choses dans la vie qui vous nouent la gorge.

La Coalition des familles LGBT a expliqué comment les mentions de sexe des parents sur les certificats de naissance des enfants pouvaient aussi ne pas refléter la réalité des familles trans, ce qui va à l’encontre du principe d’intérêt supérieur de l’enfant.

D’autres groupes familiers avec les enjeux qui touchent les personnes trans, comme la Coalition jeunesse montréalaise de lutte à l’homophobie ou AlterHéros, ont relevé les absurdités contenues dans le projet de règlement proposé par la Ministre de la Justice Stéphanie Vallée, et proposé des suggestions. La Ministre, attentive, semble avoir été sensible au vécu des personnes trans et avoir mis de côté la partie du projet de règlement qui faisait problème. D’autres enjeux demeurent incertains, comme le fait de devoir obtenir la permission d’un médecin, mais pour l’instant, soulignons l’ouverture de la Ministre.

Puis, PDF est arrivé. Pour les droits des femmes est un groupe qui a été créé durant le débat sur la Charte des valeurs en réaction aux positions de la Fédération des femmes du Québec. Je les appelle affectueusement Pour les droits des femmes privilégiées. Ses positions relèvent d’un féminisme trans-exclusif, c’est à dire qui ne reconnaît pas l’expérience des femmes trans, sauf à certaines conditions, en l’occurrence, des conditions qui ne relèvent que de l’intimité des personnes concernées. Pour PDF, une bonne femme trans semble être une femme trans dûment passée sous le bistouri. Pour appuyer sa crédibilité en matière de questions trans, la présidente de PDF, Michèle Sirois, s’est présentée à la commission accompagnée d’une membre transsexuelle de l’association dont elle avait, malheureusement, oublié le nom.

La position de PDF est que le fait d’accepter les modifications à l’état civil d’une personne trans sans qu’il n’y ait eu de chirurgie pourrait mettre en danger les femmes dans les lieux qui leur sont exclusifs, comme les toilettes, les vestiaires des femmes ou les centres d’hébergement pour femmes victimes de violence ou d’agressions sexuelles. Ce texte, qui résume leur position , est rempli d’amalgames.

Elles amalgament les femmes trans (qu’elles s’entêtent à appeler des hommes biologiques) à des violeuses potentielles. Dans ce texte, elles écrivent notamment : «Nous sommes très nombreuses à ne pas vouloir nous retrouver dans un vestiaire sportif à côté d’hommes nus sous prétexte qu’ils disent se sentir femmes», soit exactement le genre d’argument qu’on brandissait contre l’homosexualité dans les années 60. Je ne peux pas témoigner d’une expérience trans, mais je peux vous assurer qu’à titre de lesbienne, la dernière chose que j’ai envie de faire dans un vestiaire est de me «rincer l’œil».

Elles amalgament le fait d’être transgenre (s’identifier à un genre qui n’est pas celui assigné à la naissance sans nécessairement recourir à des chirurgies) à de la coquetterie. Or, les personnes trans revendiquent justement le fait de ne pas avoir à ce conformer aux stéréotypes de genre imposés par le règlement pour que leur identité de genre soit respectée.

Elles confondent complètement les appellations des personnes trans en parlant d’«hommes transgenres» pour faire référence à des personnes trans d’homme à femme.

Surtout, elles ne semblent se préoccuper d’aucune manière de la sécurité des personnes trans qui, encore aujourd’hui, vivent des situations de vulnérabilité directement liées aux formes de discrimination proposées par PDF. Si les centres de femmes victimes de violence conjugales se mettent à exclure des femmes trans, que feront ces femmes? On ne demande pas de changement à l’état civil pour le fun et si on se pointe dans une maison des femmes, c’est parce qu’on en ressent le besoin.

L’une des membres de PDF, celle dont Michèle Sirois avait maladroitement oublié le nom, disait hier en commission qu’avant sa transition, elle évitait tout simplement de voyager. Surtout au Moyen-Orient. Sans vouloir invalider l’expérience personnelle de Daphné Poirier – c’est son nom – j’aimerais rappeler qu’il s’agit d’une expérience personnelle, justement. Et que si se résigner à ne pas voyager a longtemps constitué la norme, voir l’obligation, pour les personnes trans, il n’est pas exagéré de revendiquer que cela change. C’est l’essence même des combats pour les droits civiques. Sinon, les personnes trans seront condamnées à vivre selon les termes et conditions d’une majorité qui ne semble rien comprendre à leur expérience du quotidien.

Pour l’instant, toutes les personnes trans subissent d’une manière ou d’une autre l’oppression patriarcale. Les femmes trans en subissent du fait de leur expérience actuelle de femme, et qui plus est, de femme exclue de certains milieux. Il est possible que des hommes trans subissent toujours les effets de leur socialisation comme fille durant l’enfance, et d’autres du fait qu’ils possèdent un utérus. À ce titre, je ne vois pas comment le féminisme pourrait faire autrement que d’inclure toutes ces personnes dans son combat.

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