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75 ans de bons sentiments

La chroniqueuse de La Presse Nathalie Petrowski lui reprochait d’être une infopub pour le féminisme. Je ne suis pas certaine que quoique ce soit puisse vraiment constituer une pub pour le féminisme. Le féminisme est une chose qui est. On peut difficilement être contre, quand on en comprend évidemment la définition. Et franchement, je doute que qui que ce soit ait envie de taper de la casserole après avoir vu le documentaire 75e, elles se souviennent, qui est peut-être en effet un coup bon de pub, je ne vous dit pas pour qui, mais pas pour le féminisme, tellement il donne à croire que tout est réglé.

Une chance que Tamy Emma Pepin est là à la fin pour nous rappeler qu’encore aujourd’hui, il peut être stressant pour une femme d’arpenter l’espace public le soir ou de dénoncer son agresseur. Sinon, on se croirait à Femmeland, un pays où hommes et femmes se tiennent main dans la main pour célébrer leur égalité.

Suite à la diffusion de cet exercice autocongratulatoire d’une heure, Geneviève St-Germain a reproché au documentaire de Flavie Payette-Renouf son casting de vedettes. «Où sont les femmes de toutes générations, intellectuelles, historiennes, sexologues, écrivaines, journalistes qui ont réfléchi à la situation des femmes? En dehors des partis politiques et des cercles de pouvoir. Qui ont quelque chose de singulier à dire. Je ne les vois guère dans les medias…» commentait-elle sur Facebook. Une militante de la première heure lui rappelait par ailleurs qu’il avait fallu à des féministes – qu’on traitait sûrement de barbues à l’époque – plusieurs années avant de convaincre madame Marois d’adopter un système de garderies abordables avant qu’elle n’acquiesce à la demande en en récoltant évidemment tous les honneurs.

Le casting pose en effet plusieurs problèmes, que l’on pouvait déjà identifier avant même que le documentaire ne soit diffusé. Comment peut-on, notamment, justifier qu’une femme qui passe ses dimanches soirs à présenter des «beautés» portant les valises pleines de cash d’un puissant banquier anonyme nous soit présentée comme une icône du féminisme? Pas besoin d’être parfaite pour aspirer au titre, mais quand même… Comment peut-on justifier que plusieurs des intervenantes ayant milité l’an dernier pour que des femmes soient exclues du marché du travail sous prétexte qu’elles portent le voile, représentent sans partage, dans ce documentaire, le féminisme actuel? Comment peut-on justifier un casting aussi homogène en terme d’idéologie, de classe sociale, d’orientation sexuelle, d’identité de genre et, surtout, d’origine ethnique?

Ce dernier point est probablement celui qui fait le plus souffrir le documentaire qu’on nous présentait comme l’histoire de l’obtention par les femmes du droit au suffrage. Or, on ne consacre que trois minutes à ce sujet spécifique, pour s’étendre ensuite sur l’«histoire des femmes», un rappel très général d’une histoire que l’on connaît si on a le moindrement de culture générale. Ce que l’on connaît moins, par contre, c’est que le droit de vote de toutes les femmes n’a pas été obtenu en 1940. «Le 25 avril 1940, alors que « certaines » femmes obtenaient le droit de voter, les Québécoises d’origine chinoise et asiatique n’avaient toujours pas le droit de le faire, rappelait récemment sur Facebook Cathy Wong, présidente du Conseil des Montréalaises. Elles étaient encore assujetties à la loi raciste d’exclusion des chinois et ont attendu jusqu’en 1947 pour pouvoir voter. Les Québécoises d’origine japonaise ont aussi patienté : elles l’ont obtenu qu’en 1949. Et les femmes autochtones n’ont été considérées que près de 30 ans plus tard».

Faire un survol du chemin parcouru par les Québécoises depuis 1940, du droit de vote aux garderies à 5$ en passant par la pilule contraceptive, est sûrement une décision documentaire qui se défend, mais le résultat n’a d’autre choix que d’être édulcoré, superficiel, et, au final, convenu. Surtout, ce choix permet convenablement d’occulter la partie moins glorieuses de notre histoire, celle qui concerne l’oppression de certaines femmes par d’autres, et qui a encore séance aujourd’hui. Or, la lutte qui a permis aux Québécoises d’accéder au suffrage est tumultueuse, complexe, parfois gênante et jalonnée de contradictions. Ce sujet aurait mérité, à lui seul, un documentaire d’une heure.

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