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Pas une victime

Photo: YouTube

Alors que des journalistes commencent à lire le récit de Stéfanie Trudeau, alias matricule 728, on apprend qu’il y a «une autre version des faits», la sienne, qui pourrait nous permettre de mieux comprendre la réalité de la policière la plus détestée du Québec. Le livre dans lequel elle raconte son récit, «Servir et se faire salir», semble être un règlement de compte. Ce genre d’essai, comme les biographies de politiciens, n’est souvent rien de plus qu’une opération marketing visant à faire ou à défaire l’image de quelqu’un. Ici, il faudra faire plusieurs acrobaties pour nous faire acheter que matricule 728 est une victime. Personnellement, je ne paierai pas 25$ pour me donner le loisir de pleurer sur le sort d’une policière qui n’a pas seulement été au mauvais endroit ou mauvais moment à plus de deux reprises.

Les histoires ont toujours, bien sûr, deux versions. Et on imagine bien que Stéfanie Trudeau ne va pas nous offrir une dissertation sur comment les carrés rouges sont véritablement comparables à de la vermine. Ses récriminations semblent plutôt porter sur un traitement médiatique ingrat envers une pauvre fonctionnaire qui a simplement voulu faire son travail, servir, pour reprendre son expression.

C’est vrai, le jugement médiatique, comme celui de la population, peut parfois s’avérer injuste. L’image des policiers est, en cette ère de médias sociaux, de plus en plus difficile à gérer. Stéfanie Trudeau n’est pas la seule à avoir été victime de lynchage. C’est aussi le cas de Charles-Scott Simart (alias matricule 3143) ou de Darren Wilson (le policier qui a tué Michael Brown), ou encore d’Eric Casebolt, cet ahurissant personnage qui s’est cru dans un film de James Bond et qui a démissionné après avoir montré un haut niveau d’incompétence. C’est aussi le cas de Pierre-Luc Gauthier, qui a menacé un itinérant de l’attacher à un poteau à -40oC , ou de Dimitry Harris, filmé par un concierge d’école en train d’être incapable de garder son cool.

C’est dur. Surtout qu’on ne doute pas de la pureté des intentions. Devenir policier, c’est vouloir protéger et servir. Il peut arriver qu’on soit maladroit, qu’on emploie des tactiques douteuses, mais je doute qu’on enfile l’uniforme un matin en fantasmant à l’idée d’abuser de son pouvoir, de tabasser des étudiants ou de faire souffrir des individus aux prises avec des problèmes de santé mentale.

Mais servir vient avec un certain nombre de responsabilités, dont celle de traiter tous les humains sur une base égale, avec, si possible, une part de compassion, et, idéalement, une grande conscience de ses pouvoirs et privilèges. Dans une intervention entre un citoyen et un policier, la balance du pouvoir est toujours dans le camp des forces de l’ordre, qui sont armées et qui peuvent arrêter un individu.

Or, ce qu’on entend dans l’enregistrement audio capté à l’insu de matricule 728 à la suite d’une altercation entre elle et des citoyens du Plateau-Mont-Royal se passe d’une version alternative des faits. Que cette discussion ait eu lieu entre elle et son supérieur ou entre elle et sa conjointe, elle démontre clairement un biais défavorable à une certaine catégorie de personnes, basée sur des critères bizarres (habiter sur le Plateau, posséder une guitare?). Quoiqu’il en soit, ce genre de préjugé prête flanc à un certain profilage social et politique, dont les conséquences sur les droits et libertés des citoyens sont graves. Ce profilage au sein du SPVM a déjà été dénoncé par la Ligue des droits et libertés.

Par ailleurs, je ne doute pas une seconde que Stéfanie Trudeau ait été victime de lesbophobie dans un corps de métier qui a encore du chemin à faire pour intégrer les membres des minorités sexuelles. J’ai beaucoup de sympathie à son égard, mais n’instrumentalisons pas la cause non plus. Personne ne mérite d’être victime d’homophobie, mais cela ne donne le droit à personne de s’en prendre à d’autres individus autrement vulnérables.

Probablement que Stéfanie Trudeau a raison sur un point : avec le nombre de cas d’abus de pouvoir ou de comportements douteux recensés parmi le corps policier montréalais, le SPVM aurait peut-être intérêt à revoir sa culture à l’interne et à y promouvoir des valeurs d’équité et de respect. Et, tant qu’à y être, à mettre en place des mesures pour contrer l’homophobie en milieu de travail.

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