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Le coût de l’indépendance

Le Devoir a décidé de mettre fin au contrat du chroniqueur David Desjardins après que ce dernier eut révélé à La Presse qu’il lançait son entreprise de marketing de contenu. Pour résumer, le marketing de contenu, c’est du contenu financé par des marques. C’est Urbania qui fait un numéro hors série sur le 281, c’est l’émission On efface et on recommence où chaque commanditaire est minutieusement crédité, c’est le magazine enRoute qui produit depuis des décennies un contenu d’une très grande qualité, qui lui vaut des prix à l’international, pour Air Canada. Ce n’est pas le diable incarné. C’est la dure réalité des médias.

Le marketing de contenu, en réalité, n’est ni plus ni moins que l’extension logique du fait que les marques financent, par l’achat de publicité, le contenu. Le seul média qui échappe réellement à cette logique, aujourd’hui, c’est peut-être la radio de Radio-Canada. On aura beau dire qu’il y a une séparation étanche entre les rédactions et la publicité, on se met un beau gros doigt dans l’œil si on croit que les journalistes et les autres producteurs de contenu jouissent d’une réelle indépendance.

Bien sûr, lorsqu’un David Desjardins l’affirme avec autant de candeur, ça dérange. Mais des employeurs comme Le Devoir peuvent-ils réellement faire leurs vierges offensées lorsqu’ils découvrent qu’un de leurs chroniqueurs, qu’ils paient 200$ par semaine (selon diverses sources), s’adonne à d’autres activités moins nobles pour arriver? Bien sûr, par définition, les pigistes accumulent les contrats pour se constituer un salaire.

Mais à 50$-150$ le feuillet, 100$-150$ pour une chronique radio, le temps étant une chose qui n’est pas élastique, difficile d’accumuler un salaire décent.

Les syndicats de l’information, qui ont tendance à voir les pigistes comme une forme de concurrence déloyale alors qu’il s’agit des travailleurs parmi les plus précarisés, auront beau jeu de s’offusquer des mauvaises fréquentations des pigistes et de se draper dans la vertu que leur permettent leurs privilèges de salariés. Le Conseil de Presse et la FPJQ peuvent bien nous rappeler que le marketing de contenu, c’est mal. Quelle sorte d’histoire manichéenne essaie-t-on de se raconter pour éviter de voir la réalité en pleine face: le monde de l’information a changé, et, dans cette mutation, ne s’est pas donné les moyens de se payer une information indépendante et de qualité.

On pourra se questionner ad nauseam sur l’intégrité de David Desjardins – en évitant bien sûr de remettre en question le contenu lifestyle, immobilier, automobile, emploi, etc., que produisent les journaux dans l’unique but de fournir des pages aux annonceurs –, on ne pourra pas contourner le vrai problème éternellement: les pigistes ne sont pas assez payés. Probablement, il est vrai, parce que les médias n’ont pas les moyens de leurs ambitions morales. Au fond, posons-nous la question suivante: Le Devoir avait-il les moyens de se payer un David Desjardins indépendant?

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