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Savoir tirer des leçons

Photo: Paul Chiasson/La Presse Canadienne

Bien sûr, la présomption d’innocence prévaudra toujours. Le but de ce texte n’est pas de faire le procès de feu Claude Jutra, mais plutôt celui du discours ambiant lorsque surviennent des allégations d’agression à caractère sexuel. Il semble que nous reproduisions toujours les mêmes erreurs, et que les leçons du passé s’assimilent difficilement d’un cas à l’autre.

En début de semaine, Marc Béland prenait la défense du réalisateur qu’il a bien connu. Alors que La Presse publiait hier matin le témoignage d’un homme disant avoir été victime des attouchements de Jutra dès l’âge de six ans, on suppose que l’acteur et metteur en scène s’est mordu les doigts toute la journée, après s’être entendu dire des choses comme «Moi je l’ai connu, Claude n’est pas un abuseur», ou encore : «La sexualité des gens ne regarde personne jusqu’à ce que quelqu’un dénonce un abus». Pourtant, n’était-ce pas la leçon principale à retenir du mouvement #AgressionNonDénoncée?

Les victimes n’ont pas toujours le courage de dénoncer leur agresseur. D’autant plus quand cet agresseur est en position d’autorité. D’autant plus quand cet agresseur fait l’objet d’une admiration nationale. D’autant plus quand le fait de révéler son agression est susceptible de générer trouble et déception, et de placer de nouveau la victime en situation de vulnérabilité en ravivant le souvenir d’un événement douloureux sur lequel elle préférerait probablement tourner la page. C’est justement pour toutes ces raisons, et bien d’autres, que tant d’agressions ne sont jamais dénoncées.

Des linguistes improvisés ont aussi voulu négocier les termes, affirmant qu’il faudrait parler, dans le cas de Jutra, de pédérastie plutôt que de pédophilie. Je comprends que la sexualité homosexuelle fasse souvent l’objet de stigmatisation. L’âge du consentement légal a même déjà été plus élevé pour les relations homosexuelles que pour les relations hétérosexuelles. N’en demeure pas moins que notre jugement ne devrait pas tant porter sur le sens que certains donnent à leur comportement sexuel, que sur la notion de consentement.

Dans les tentatives de disculpation de Claude Jutra, certaines personnes ont en outre affirmé, comme s’il s’agissait d’une preuve, que le cinéaste ne pouvait pas être un abuseur parce qu’il n’avait pas abusé d’elles. Dans une lettre ouverte, Christian Dufour affirmait que Jutra n’avait jamais commis de geste déplacé à son endroit, malgré qu’il fût séduisant. Quelle compréhension étrange de l’abus sexuel. Notre conception de la pédophilie est-elle erronée au point de croire qu’un pédophile s’en prend indistinctement à tous les jeunes de son entourage sans exception?

Les abuseurs se vantent rarement de leurs crimes, c’est pourquoi il sera toujours hasardeux de prendre la défense d’un présumé agresseur sur la base de l’affection que nous lui portons. C’est décevant, inconvenant, mais si aborder ce sujet était simple, nous ne parlerions pas tant d’une culture du viol. Cette culture qui rend la parole autant que l’écoute si difficile, et le dédouanement si commode.

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