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Tragédie grecque à Montréal-Nord

Fredy

Dans le théâtre antique, les chœurs servaient notamment à représenter la réaction du public face au drame se déroulait devant eux. Le chœur, c’était la société. La pratique du chœur a traversé les époques. Elle s’est transportée jusque dans la dramaturgie contemporaine de manière plus ou moins convaincante. Dans la pièce documentaire Fredy, portant sur le meurtre de Fredy Villanueva, le chœur prend tout son sens. Il incarne le regard que la société peut poser sur la tragédie, sept ans après les faits, en nous conviant à l’enquête publique qui s’est penchée sur le drame.

Comment peut-on penser le décès de Fredy Villanueva en 2016, à la lumière des autres drames qui s’abattent sur de jeunes noirs aux États-Unis sans que la police n’ait à répondre de ses actes? Que peut-on conclure du traitement différentiel que l’on accorde aux membres de la force de l’ordre et aux jeunes racisés des quartiers défavorisés? Comment représenter tout ça au théâtre?

C’est à cette tâche que s’attelle Annabel Soutar dans Fredy, une pièce coup de poing qui bouscule et questionne comme le théâtre à caractère social parvient rarement à le faire sans tomber dans un ton moralisateur ou scolaire. La mise en scène de Marc Beaupré, qui appelle une distribution majoritairement issue de la diversité à incarner des rôles avec ou sans égard à la couleur de leur peau, situe avec brio les enjeux du profilage et de l’inégalité. Y sont incarnés Dany Villanueva, Denis Méas, Jeffrey Sagard-Métellus, les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilote, les chroniqueurs Patrick Lagacé, Rima Elkouri et Yves Boisvert, les avocats et les membres du comité de soutien à la famille de Fredy Villanueva, dont Will Prosper, ancien policier de la GRC aujourd’hui militant anti-racisme.

Au centre du tribunal, Ricardo Lamour, lui-même membre du Comité de soutien à la famille Villanueva, incarne le juge André Perreault. La colère tranquille du comédien et rappeur confère à la pièce une puissance dramatique bouleversante. À travers son regard et le paradoxe que constitue le fait de confier le rôle de juge à l’un de ceux qu’on entend généralement peu, le spectateur peut mesurer tout le poids de l’injustice.

Tout au long de la pièce, l’auteure se met en scène à travers le récit d’appels téléphoniques ou la lecture de courriels. Le procédé est le plus souvent efficace. À la fin, il sert à la fois à donner la parole à ceux qui ont refusé de collaborer à la pièce de peur qu’elle ne fasse trop bonne presse à la police (ce qu’elle ne fait pas), et à la fois à parer les critiques qui pourraient être adressées à la pièce. S’entame une important réflexion sur la façon dont les Blancs peuvent aborder les enjeux qui touchent les communautés culturelles sans se les approprier au profit de leur propre rayonnement. «Votre pièce devrait s’appeler Annabel, le récit d’une femme blanche qui se questionne sur le meurtre d’un jeune de Montréal-Nord par la police», dit en substance Ricardo Lamour à la fin de la pièce. L’acteur pris à parti souligne qu’au final, c’est l’auteure qui tirera des bénéfices de la pièce sur le dos de la famille de Fredy Villanueva.

En résulte une pièce puissante à voir à La Licorne jusqu’au 26 mars.

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