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La liberté d’expression des uns

Le débat le plus ironique qui soit sur la liberté d’expression – après Je suis Charlie mais pas tant que ça finalement – vient peut-être d’avoir lieu. À l’émission C’est pas nous qui avons commencé – émission à laquelle je collabore – une chroniqueuse s’est vue menacée de recevoir une mise en demeure parce qu’elle a averti le propriétaire du resto-bar l’Assommoir – en lui offrant l’occasion de s’expliquer comme il se doit – qu’elle allait parler du fait que l’un des cocktails proposés par son établissement s’appelle GHB.

Pris de panique, le représentant de l’établissement a souligné à son interlocutrice que le nom du resto-bar avait été choisi en l’honneur de l’œuvre d’Émile Zola, et qu’il s’agissait d’un plaidoyer pour la liberté d’expression, et qu’en ce sens, ce principe lui conférait le droit d’appeler son drink comme il le voulait. Soit.

En vertu de ce même principe, toutefois, il est tout aussi légitime que l’on souligne que le nom de la mixture, GHB, fait référence à une drogue utilisée à des fins récréatives, mais aussi, vu son effet assommoir lorsque mélangé à de l’alcool, à des fins de viol, d’où son petit nom de «drogue du viol». En faire un nom de cocktail parce que c’est rigolo, c’est banaliser la réalité. Et la réalité, c’est que plusieurs filles ont été victimes de la drogue du viol et que la possibilité que cette mixture se retrouve dans nos consommations à notre corps défendant constitue une nuisance pour chacune d’entre nous.

Il est fascinant de voir la rapidité avec laquelle on crie à la censure lorsqu’il est question de formuler une critique constructive à l’endroit d’un discours qui produit des effets indésirables. Mais qu’on réponde à ça par une menace de censurer la critique est probablement la chose la plus ironique et révélatrice qui soit. Plutôt que d’affronter la critique, d’assumer son nom de cocktail douteux, ou encore de reconnaître que le nom soit mal choisi, on préfère se présenter en victime de la rectitude politique qui empêche de faire des jokes de viol en paix. La critique, c’est la censure, mesdames et messieurs.

Il est fascinant aussi de voir à quel point le loisir d’un commerce de banaliser le viol sans en subir d’inconfortables inconvénients tels que l’opprobre populaire semble aux yeux de certains (et je fais référence ici à ceux qui s’échinent sur mon mur Facebook à prendre la défense du pauvre bougre) supérieur à la liberté des filles de dire qu’elles ne trouvent pas ça ben ben l’fun.

Devant la perspective de perdre une certaine clientèle, le représentant de l’Assommoir a annoncé à ma collègue qu’il changerait le nom de son cocktail lors d’une refonte de son menu prévue dans les prochaines semaines. Ce ne sont donc pas les vilaines féministes qui auront eu raison de la la sacro-sainte liberté d’expression, mais le grand principe du capitalisme.

Je ne suis pas certaine qu’Émile Zola aurait appuyé ma collègue dans sa dénonciation de la culture du viol. Autre temps autres mœurs. Mais notons que l’auteur de l’Assommoir est aussi l’auteur de nombreux essais critiques, dont J’Accuse. Zola était un fervent défenseur de la liberté d’expression, mais aussi un pourfendeur de la pensée dominante. Je suis pas mal certaine que si on l’avait accusé de quoique ce soit, il aurait eu le courage d’écouter la critique. Il n’aurait certainement pas mis son interlocutrice en demeure de se taire.

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