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Colonialisme et désoeuvrement

Depuis que le chef d’Attawapiskat a déclaré l’état d’urgence, c’est un peu comme si on découvrait l’ampleur du désœuvrement qui touche les communautés autochtones. On sait que ça va mal dans les réserves, on connaît les cicatrices laissées par le colonialisme, mais on imagine difficilement qu’une communauté d’à peine 2 000 âmes ait pu compter une tentative de suicide par jour au cours du mois de mars et une centaine depuis septembre dernier.

Reporter à The Gazette, Christopher Curtis s’intéressait à l’enjeu du suicide dans les communautés autochtones avant que ça ne fasse la une des journaux. En décembre dernier, il s’est rendu dans les communautés d’Uashat et de Maliotenam pour tenter de comprendre ce qui avait poussé cinq personnes à commettre l’irréparable. Il en a tiré une série de trois longs reportages.

Une des découvertes qu’il a faites, c’est que… c’est compliqué. «Les communautés autochtones ne sont pas monolithiques, m’a-t-il expliqué. Ce qui est fascinant quand on regarde les statistiques, c’est qu’il y a un taux de suicide six fois plus élevé chez les jeunes autochtones que chez les jeunes non autochtones, mais quand on y regarde de plus près, on se rend compte que 90 % de ces suicides surviennent dans seulement 10 % des communautés autochtones.» Autrement dit, certaines communautés ont des taux de suicide équivalents ou supérieurs à la moyenne nationale, alors que d’autres sont en véritable situation de crise.

À ce sujet, M. Curtis a interviewé Christopher Lalonde, un psychologue de l’université de Victoria qui a analysé les taux de suicide dans les communautés autochtones de la Colombie-Britannique pendant treize ans. Selon ses recherches, un des facteurs les plus déterminants dans les taux de suicide est le degré de résistance des communautés au colonialisme. Le chercheur a vérifié des variables comme le contrôle dont dispose une communauté sur l’éducation, le service de police, la santé, la protection de la jeunesse, la souveraineté linguistique, etc. Plus la communauté détenait du pouvoir sur ses institutions politiques et culturelles, plus son taux de suicide était bas.

Selon M. Curtis, la crise d’Attawapiskat confirme en partie la théorie de M. Lalonde. «Quand on compare les communautés de la Baie-James québécoise et ontarienne, on remarque qu’ils ont beaucoup de points en commun, comme la langue et la culture. Mais au Québec, on voit moins ces problématiques-là : avec les projets de barrages hydroélectriques, on a négocié des ententes avec les communautés cries qui leur garantissent un niveau d’indépendance envié à travers le Canada.»

Bien qu’il soit affecté au dossier des enjeux autochtones, Christopher Curtis n’a pas l’intention d’écrire sur Attawapiskat même si c’est au cœur de l’actualité. «Il y a toujours un risque que la médiatisation de ces enjeux aggrave la situation.

Imaginez plein de journalistes débarquer sans avoir été invités : quand les jeunes ouvrent la télé, ils entendent encore une fois du mal de leur communauté.» Il préfère attendre que la poussière retombe. Il maintient toutefois des liens avec les gens d’Uashat et de Maleotenam, où «ça va mieux», dit-il, avec un peu d’espoir.

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