Soutenez

Ce qu’il fallait démontrer

Mike Ward et Guy Nantel ne présenteront pas de prix ce soir au Gala des Olivier. L’assureur du gala aurait jugé le numéro des deux humoristes «trop salé», et aurait refusé d’en assumer financièrement le risque. Et c’est très ironique parce que le numéro portait justement sur la liberté d’expression. La nouvelle a fait grand bruit, parce qu’elle semble démontrer que la menace ne fait plus que planer, elle existe pour de vrai, ça y est : ON NE PEUT PLUS RIEN DIRE!

Pour bien démontrer l’absurdité de la chose, les humoristes ont remis leur texte au Journal de Montréal. En deuxième instance, les humoristes ont décidé de présenter leur numéro de stand-up au Bordel. Bon, finalement, c’est pas cool, mais c’est quand même pas la Corée du Nord. Il a donc été possible de se faire sa propre idée sur le numéro que présentaient les deux farceurs.

Le sous-texte de ce numéro passif-agressif, c’est que la liberté d’expression de ceux qui ne font pas partie d’un groupe vulnérable comme les lesbiennes ou les juifs, par exemple – donc, on imagine, les hommes blancs hétéros – serait brimée par ces minorités qui «forment des groupes pour faire pitié» et qui après ça se plaignent ou te poursuivent. Un moment fort du numéro – qui a apparemment été «choké» au Bordel – est quand Guy Nantel formule l’une de ces blagues raffinées qui selon lui ne passerait pas le test: «Heil! Savez-vous pourquoi les Juifs donnent des stérilets en or à leur femme? Non? Parce qu’y aiment ça, rentrer dans leur argent». Comme vous pouvez le constater: super drôle. De l’«humour intelligent» comme seul Guy Nantel sait en faire. Une blague si bonne qu’il l’a recyclée du temps où Dieudonné commençait à peine à l’échapper. Tsé, une blague qui méritait d’être répétée dix ans plus tard.

Pour vrai, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat dans ce numéro. Si les avocats des assureurs ont véritablement trouvé qu’il y avait là matière à litige, quelqu’un, quelque part, manque sérieusement de couilles ou de foi en ses compétences d’avocat.

Vendredi soir, Radio-Canada a réagi à la controverse par voie de communiqué, expliquant que le numéro avait été retiré en raison du procès toujours en cours entre Mike Ward et l’une des parties impliquées dans le numéro, soit la Commission des droits de la personne. Cette cause est complexe. Quand Julius Grey se retrouve contre la CDPDJ, on peut être sûr que ce n’est pas simple. Et entre ce cas et celui, beaucoup plus banal, qui implique Guy Nantel, il y a un théâtre St-Denis à pleine capacité de différence.

Pour un Guy Nantel qui n’a pas été poursuivi, qui n’a subi que des critiques qu’il semble avoir trouvé désagréables, ce cas de censure est comme une sorte de trophée de chasse. La preuve de ce dont il se plaint depuis la fois où il a passé ce commentaire sur le couvre-chef de Justin Trudeau. C’est ce qu’il fallait démontrer. Sauf que le discours de Guy Nantel, celui qu’il tient dans ledit numéro sur la liberté d’expression, blâme encore les groupes minoritaires, marginalisés, vulnérables, qui «sont donc gossants avec leurs demandes, leur indignation, pis leurs critiques». Pour lui ceci serait équivalent de la censure, parce que personne n’aime ça se faire critiquer et se sentir comme une mauvaise personne.

Pour Guy Nantel, si on trouve ça gossant de se faire niaiser, caricaturer, stigmatiser à longueur d’année, c’est signe qu’on serait immatures. Jamais il ne semble reconnaître que la liberté d’expression, ça implique aussi de pouvoir répondre à des jokes, de les critiquer, de les remettre en question. Le message que semble avoir retenu Guy Nantel de sa mésaventure sikhe, c’est qu’il n’est pas possible de faire de jokes sur un «groupe» sans appartenir à ce groupe. Jamais il ne s’est dit: «Heille, me semble que ça serait plus drôle de rire des plus puissants que de rire des plus faibles». Ou mieux encore, de rire des gens qui rient des plus faibles.

C’est regrettable que le numéro de Mike Ward et Guy Nantel soit censuré. Il s’agit d’un dangereux précédent. Mais ce que cet exemple démontre, c’est que la censure, elle ne vient pas nécessairement des groupes minoritaires frustrés et gossants. Elle peut aussi venir de bêtes intérêts financiers.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.