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Lettre à une jeune chroniqueuse* (plus jeune que moi encore)

Closeup female hands typing on keyboard Photo: Getty Images

Tu trouveras peut-être ça bizarre que je te donne des leçons à mon âge (tu ne serais pas la première) mais après avoir écrit des chroniques pendant un peu plus de cinq ans, je commence à comprendre des affaires que j’aimerais te transmettre à toi, qui désires gagner ta vie en donnant ton opinion dans le journal. Un métier d’avenir! Même si de plus en plus de gens le font gratuitement.

Premièrement, sache que tu ne changeras pas le monde. Tu deviendras la pro pour formuler une opinion claire dans un style concis – ce qui n’est pas aussi simple que ce que tes lecteurs penseront. Mais tu arriveras très rarement à convaincre. Fais-toi à l’idée: les gens ne changent pas tant d’opinion en lisant un texte. Au mieux, tu pourras amener des gens qui pensent comme toi à propos d’un sujet à se rapprocher de ce que tu penses d’un autre sujet.

Un jour, on te fera un commentaire que tu trouveras niaiseux sur le coup, puis, insidieusement, ce commentaire se taillera une place dans ta façon d’écrire. Tu cesseras d’écrire au «je» parce qu’on t’aura traitée d’égocentrique. Tu essaieras de faire des phrases plus courtes quand on t’aura mal comprise. Un jour, tu écriras une chronique sur un sujet que tu maîtrises plus ou moins. On te le fera remarquer, et alors tu n’écriras plus jamais que sur des choses que tu connais, ou du moins, que tu penses connaître.

Mais tu ne changeras toujours pas le monde. Tu apprendras à parer les arguments de tes adversaires en les donnant en exemple de ce qu’il ne faut pas faire dans tes textes. Puis, invariablement, en commentaire, quelqu’un te servira ces arguments que tu avais pris soin de discréditer. Tu comprendras que cette personne s’est sentie autorisée à commenter l’idée que tu avais soigneusement élaborée en y mettant toutes les nuances nécessaires, après n’avoir lu… que la photo du texte. Et tu te rappelleras que tu ne changeras pas le monde.

Ta plus grande satisfaction alors, tu l’éprouveras  quand on te dira que tu as réussi à mettre des mots sur ce qu’on pensait. Tu te diras, avec un peu de découragement : «Ça y est, j’écris pour ceux qui pensent déjà comme moi.» Puis, tu verras ton texte être partagé et tu te diras qu’il y a quelque chose d’un peu noble quand même dans le fait de donner des mots à ceux qui n’en ont pas, de formuler des opinions pour ceux qui n’ont pas le temps de le faire. Et tu éprouveras aussi un peu de satisfaction quand on te dira : «Je déteste vos idées, mais j’adore vous lire.» Tu te diras que tu ne changes pas le monde, mais au moins, tu le fais bien.

*Le féminin est employé pour alléger le texte.

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