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Victime jusqu’à preuve du contraire

La discussion sur les affaires judiciaires, et particulièrement, semble-t-il, celles qui touchent les affaires de violence conjugale ou d’agression sexuelle, tourne invariablement autour du concept de présomption d’innocence.

Dimanche dernier, on apprenait que Lily-Rose Depp prenait la défense de son père, Johnny Depp, accusé de violence envers sa femme Amber Heard. Qu’une fille prenne la défense de son père est une chose. Que les médias diffusent la nouvelle est tout à fait légitime. Les pages Facebook du Journal de Montréal et du Sac de chips ont toutefois partagé la nouvelle en qualifiant le geste de «touchant» et en présumant que «Johnny Depp devait être fier de sa fille», comme si une histoire de violence conjugale, qu’elle s’avère ou non, puisse susciter de tels sentiments.

J’ai souligné la maladresse sur ma propre page Facebook, puis, quelques minutes plus tard, le Journal et son pendant croustillant ont rectifié le tir, tout à leur honneur. La discussion qui s’en est suivie sur ma page Facebook est fascinante et montre comment le concept de présomption d’innocence, important dans un état de droit, nous conduit toutefois à l’occasion à prendre par défaut le parti de la personne présumée coupable.

Alors que je soulignais l’indélicatesse – en toutes circonstances – d’associer des bons sentiments à une histoire de violence conjugale, quel que soit le verdict, plusieurs personnes ont cru nécessaire de rappeler le grand principe de la présomption d’innocence, comme si on pouvait l’oublier. «On ne saura jamais ce qu’il s’est vraiment passé», «Il y a toujours deux côtés à une médaille», «Attendons les détails avant de sauter aux conclusions», etc. Curieusement, ces commentaires ne s’adressaient pas au Journal, qui, en qualifiant dans un premier temps l’appui de Lily-Rose Depp de «touchant», prenait position en faveur du présumé agresseur, mais semblaient plutôt s’adresser à ma critique. Comme si le fait de remettre en question le ton d’un article sur la violence conjugale invalidait la sacrosainte présomption d’innocence.

Or, la critique ne portait pas sur le cas devant les tribunaux, mais sur le traitement de la nouvelle. Faisons l’exercice. Si Johnny Depp était finalement déclaré coupable, serait-il touchant que sa fille ait pris sa défense? Déchirant, peut-être, normal quoique troublant, oui, touchant, non. Et même si Johnny Depp n’était PAS déclaré coupable? Comment aurait-on pu le deviner d’emblée, avant le procès, si ce n’est qu’en ayant déjà pris position en faveur de l’acteur? Et comment pourrait-il y avoir quoique ce soit de touchant à cette histoire qui en rappelle tant d’autres? À tous les jours, des victimes de violence ne sont pas crues, et des proches d’agresseurs prennent leur défense. Combien de fois des victimes de violence n’ont-elles pu obtenir justice faute de preuves?

Plusieurs encore se sont insurgés contre la violence du tribunal populaire, qui, semblerait-il, a tendance à juger les présumés agresseurs coupables avant les faits. Pourtant, lorsqu’on fait une recension rapide des commentaires sur les réseaux sociaux, et notamment ceux en réponse au texte partagé par le Journal et le Sac, c’est plutôt contre Amber Heard que semble converger la violence. Tantôt traitée de menteuse, d’extorqueuse, de blonde ambitieuse avide d’argent et d’attention, Amber Heard subit l’opprobre pendant que Johnny récolte les appuis. Le site Gala est allé jusqu’à écrire que la «jolie poupée texane, Amber Heard, s’est distinguée comme elle pouvait. D’abord en affirmant sa bisexualité».

Reste que cette histoire, qu’elle s’avère ou non – je le répète puisque vous semblez tant tenir à la présomption d’innocence! –, porte en elle tous les éléments qui construisent les murs habituels autour des victimes. Amber Heard a tout ce que l’on exige habituellement d’une victime d’agression : des photos, des témoins, un rapport de police, une ordonnance de la cour, un demande de divorce, et on la traite toujours de menteuse. De son côté, Depp a un historique documenté de violence, mais deux témoignages de proches disant qu’il a toujours été doux comme un agneau nous permettrait de conclure que le pauvre serait la proie d’une hystérique vengeresse et du tribunal populaire.

Le concept de présomption d’innocence est important. Mais comme celui protégeant la liberté d’expression, il mérite de ne pas être galvaudé si l’on tient à ce qu’il demeure un pilier de notre système de justice, et non une simple farce. Et surtout, il ne devrait pas reléguer les victimes au rang de «présumées menteuses», comme semble indiquer l’expression «présumée victime». Les victimes devraient demeurer, elles aussi, victimes jusqu’à preuve du contraire.

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