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La terrible invasion de sauterelles

Voici un épisode que je ne pourrai jamais rayer de ma vie: celui de l’invasion de sauterelles qui a frappé la rue de Bruxelles à l’été 68. Du jour au lendemain, en quelques heures, mon coin était devenu le théâtre d’un spectacle terrifiant digne des films de Ciné-Peur qui passaient très tard le soir au Canal 10. Dans la chaleur de juillet, des sauterelles, arrivées on ne sait d’où, s’étaient agrippées partout. Sur le trottoir, les enfants paniqués couraient la main devant la bouche pour ne pas en avaler. Un portrait hitchcockien, rien de moins. Quand tu vis dans l’est de Montréal, là où l’univers des insectes est d’ordinaire limité aux fourmis, aux mouches et aux maringouins, le déploiement d’un pareil escadron de bibittes vertes qui chiaient du miel partout nous avait rendus complètement hystériques.

En visite chez les voisins d’en face, un savant mononcle des États avait évoqué – dans son français cassé – toutes les conséquences possibles d’une pareille invasion: destruction totale de toute végétation, appauvrissement vitaminique des sols… Je crois même me souvenir qu’il avait parlé d’un semblant d’éclipse de soleil, vu l’épaisseur du nuage de bestioles qui allait s’abattre sur nous. Le gars se prenait au sérieux et on ne demandait pas mieux. Qui n’aime pas se faire raconter des peurs? N’en fallait pas plus pour que ma mère – toujours prête à plonger tête première dans la moindre mare de drame – se mette à fermer portes et fenêtres tout en nous interdisant d’aller dehors. Sauf pour les urgences. Comme aller lui acheter un paquet de cigarettes, par exemple. Mme Hamelin, notre infatigable dévote du quartier, en avait rajouté une couche en martelant qu’il devait y avoir quelqu’un, dans notre entourage, qui avait dû faire quelque chose de bien laid pour qu’une telle calamité nous tombe dessus. Elle entendait d’ailleurs se rendre à l’Oratoire dès que possible «pour casser ça, cette affaire-là». Faut savoir que Mme Hamelin tenait une ardoise fort précise sur tout ce que tout un chacun faisait de sa vie et faisait régulièrement des recommandations de châtiments aux officines de l’au-delà.

Heureusement – malheureusement pour certains –, deux jours plus tard au gros max, les sauterelles nous avaient fait faux bond et la vie avait repris son rythme estival, caniculaire et plate sur la rue de Bruxelles. Le mononcle savant des voisins était reparti chez lui et, presque au même moment, notre élan de paranoïa avait piqué du nez. Pendant un moment dans notre petit monde étroit, on s’était fait des peurs en partant d’un flash surréel. Aujourd’hui, l’éloignement dans le temps nous permet de l’avouer en toute candeur : on avait eu l’air d’une méchante belle gang de zoufs…

Finalement, à l’été de 1968, sur la rue de Bruxelles, il ne s’est rien passé d’anormal. Enfin, presque…

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En fin de semaine, en partant d’un court extrait visuel capté pendant le défilé de la Saint-Jean, on a cru que le Québec était devenu raciste, insensible et cynique au point de caricaturer les horreurs de l’esclavage. Ça, c’était avant qu’on apprenne que, par souci environnemental, ce n’était pas la première année que les chars allégoriques étaient poussés à l’huile de bras, que les pousseux dudit char étaient les élèves d’une école de ville Saint-Michel où on trouve une forte population noire et que le maudit char en question avait, de surcroît, les pneus dégonflés, ce qui compliquait pas mal la tâche de ces jeunes qui forçaient comme des malades pour le faire avancer sur ses caoutchoucs mous.

On ne le dira jamais assez : c’est fou les histoires qu’on peut parfois se raconter quand l’hystérie prend le dessus…

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Vu: Chasing Trane, un excellent documentaire sur la vie du saxophoniste John Coltrane qui est présenté ces jours-ci au Cinéma du Parc. Voilà un autre génie qui aura eu passablement de misère avec «la vraie vie» et qui, à 40 ans, se sera fait botter le cul hors de ce monde par un foutu cancer, alors que tout allait mieux pour lui.

C’est à voir. Parce qu’on y apprend plein de choses sur l’artiste, sur sa mission musicale et sur la société qui l’entourait, il y a 50 ans. Et aussi, parce que ça nous prépare merveilleusement bien au 38e Festival international de jazz de Montréal, qui débute en fin de semaine. À go, tout le monde dehors!

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