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Les pauvres et le froid

Je suis natif de Longue-Pointe, dans l’est de Montréal. Un quartier qui a perdu son nom et encore plus depuis qu’on l’a intégré à l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, quand on a voulu simplifier les affaires. Pour tout dire, le coin de mon enfance, il a simplement été éradiqué.

Pour vous donner une idée précise d’où c’était, partez du centre-ville et empruntez la rue Notre-Dame vers l’est. Un coup passé le tunnel Hippolyte-La Fontaine, prenez la deuxième rue à gauche et, bang, vous serez pile dedans.

Maintenant dépouillé de ses commerces – on allait jadis magasiner sur la rue Notre-Dame le vendredi soir – et de sa vitalité, ce quartier représentait parfaitement le Montréal ouvrier d’alors. Avec ses pauvres, sa classe moyenne et quelques rares riches qui, pour la plupart, œuvraient dans le domaine de la santé. De notre santé, s’entend. Ils étaient nos médecins, pharmaciens et dentistes.

À l’école Boucher-de-la-Bruère, depuis devenue une coop d’habitation, se côtoyaient des enfants pauvres et ceux qui ne manquaient de rien. Les pauvres étaient faciles à repérer. De la première à la sixième année, ils étaient parfois quatre ou cinq frères et sœurs, et l’un portait souvent le linge de l’autre. Habituellement, ils ne réussissaient pas bien en classe. Avec leur air fatigué, ils semblaient nettement plus vieux que leur âge. Peut-être l’étaient-ils, c’est comme ça quand on redouble. Précoces sur certains aspects, ils se faisaient parfois prendre à fumer dans le racoin de la cour pendant que nous, nous jouions au ballon-chasseur. Quand ce n’était pas à cause de la cigarette, il arrivait qu’on les garde en retenue après la cloche parce qu’on les avait entendus sacrer dans les escaliers. Ils repartaient ensuite vers la maison avec un devoir supplémentaire. En règle générale, ils revenaient le lendemain matin sans l’avoir fait. Et le cycle de la discipline reprenait…. Cigarette – retenue – blasphème – piquet dans le corridor – impolitesse –visite chez la directrice… L’école rendait souvent la vie difficile aux pauvres. Et les pauvres réagissaient généralement en conséquence. C’était du donnant-donnant.

Me souviens d’une famille qui, l’espace de quelque mois, était disparue des écrans radars. Les enfants, vêtus de leurs manteaux d’automne minces comme ça, s’étaient présentés en classe jusqu’à la mi-décembre, mais on ne les avait ensuite revus qu’à la mi-mars. Pendant leur absence, plusieurs rumeurs avaient couru sur leur compte. Notre fantaisie nous avait transportés loin. On disait qu’ils étaient partis vivre à Calgary avec leur grand-mère ou alors, qu’ils avaient décidé en bloc de lâcher l’école pour aller travailler, qu’ils avaient gagné à la loterie… Vive l’imagination des enfants.

Ce qui était arrivé, je l’ai appris longtemps après, c’est que ces enfants-là ne possédaient pas de vêtements d’hiver suffisamment chauds pour sortir dehors par grand froid. Et qu’ils avaient donc passé une couple de mois collés les uns sur les autres dans leur 3 ½ à attendre la clémence du climat. Et pour enfin remettre les pieds en classe. Avec les résultats qu’on devine…

Non, nous ne traversions pas la grande crise de 1929 ni ne vivions dans un goulag de l’ex-URSS. On était à Montréal, dans un quartier populaire d’il y a quarante et quelques années. Si les temps ont changé, l’hiver et le froid, eux, existent encore. La pauvreté aussi.
Cette année, encore, mon ami Roland Barbier du Centre Communautaire Hochelaga amasse des fonds pour acheter des vêtements d’hiver neufs et de bonne qualité aux enfants dans le besoin.

Quand il a commencé ça, il y a 10 ans, il en avait habillé 89. L’an passé, ils furent 1 252 à bénéficier de cette aide. Les chiffres sont là, le problème est loin d’être réglé. Même après tout ce temps.

Pour vos dons, appelez au 514-527-1898 ou visitez le cchochelaga.org

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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