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Facebook et le #10yearchallenge: arrêtez de capoter

Marcio Jose Sanchez / The Associated Press Photo: AP

Le buzz du moment – une invitation à partager des photos de soi à 10 ans d’intervalle – serait-il une machination de Facebook pour peaufiner ses algorithmes de reconnaissance faciale? Même si la théorie du complot séduit, elle ne tient pas du tout la route.

Résumons le débat. Depuis quelques jours, les internautes sur les réseaux sociaux publient côte à côte leurs photos de profil de 2009 et de 2019, question de mettre en image le temps qui passe. Pour certains, c’est une invitation à se faire dire qu’ils n’ont pas vieilli. Pour d’autres, c’est une façon d’assumer les changements vécus en une décennie.

Une rumeur lancée sur les réseaux sociaux – plusieurs semblent attribuer la source à ce tweet, mais j’ai aussi vu passer un questionnement similaire sur Reddit en même temps – vient toutefois jeter un pavé dans la marre. Le #10yearchallenge est-il né d’une façon organique, ou a-t-il été mis en place par Facebook, qui pourrait bénéficier des photos publiées pour apprendre comment le visage humain vieillit en 10 ans?

Le magazine Wired explore cette question dans un long article sur le sujet. L’auteur Kate O’Neill, la même qui avait écrit le tweet cité plus haut, analyse pourquoi Facebook pourrait bénéficier d’algorithmes capables de comprendre le vieillissement du visage, et pourquoi, selon elle, le défi permet à l’entreprise d’obtenir de meilleures données pour entraîner ses modèles que si elle avait simplement analysé les photos qu’elle possède déjà sur son site.

Les deux points passent à côté de la plaque.

Les algorithmes de reconnaissance du visage sont tout d’abord déjà capables de reconnaître le vieillissement. Ceux qui possèdent un compte Google Photos n’ont qu’à y téléverser une photo d’eux étant enfant pour faire le test. La plupart du temps, le logiciel est capable de déterminer s’il s’agit de vous ou non, même si vous ne possédez qu’une image de cette époque.

Est-ce que Google pourrait posséder des algorithmes supérieurs à ceux de Facebook? C’est possible. Mais Facebook détient plus de photos d’utilisateurs, et ce, depuis plus longtemps que son concurrent. Il serait étonnant qu’ils n’aient pas développé de technologie similaire avec les années.

À la défense de l’auteure du texte, celle-ci reconnaît les lacunes de sa question, et elle semble surtout se prêter au jeu de l’analyse pour le bien de la réflexion. Malheureusement, les médias et les observateurs ont plutôt pris sa réponse au pied de la lettre.

Jouons au jeu également, et supposons néanmoins que Facebook est bel et bien à la recherche d’un algorithme qui intègre le vieillissement à la reconnaissance faciale.

Est-ce que, comme Kate O’Neill le prétend, les données publiées par les utilisateurs pendant le défi sont plus crédibles que celles publiées sur Facebook? Pour ceux qui n’ont pas lu l’article, l’auteur estime que les images du #10Yearschallenge sont plus crédibles, car les utilisateurs y indiquent l’année d’origine des photos, alors que les photos sur Facebook peuvent avoir été publiées longtemps après avoir été prises.

C’est faux. Les dates données par les utilisateurs ne sont pas forcément précises (j’ignore si ma photo de profil de 2009 avait été prise en 2008 ou en 2009). D’autres personnes trichent et d’autres adoptent une définition plus souple du #10yearchallenge.

Par opposition, Facebook sait quelles photos sur son site ont été téléversées avec un téléphone intelligent. Toutes les informations sur celles photos sont enregistrées, comme le moment où la photo a été prise et sa position GPS. Ces données sont fiables, elles sont déjà classées sur ses serveurs, elles sont facilement accessibles et elles ont déjà été utilisées pour l’apprentissage machine.

Serait-il possible de faire mentir ses photos mobiles sur Facebook pour nuire aux algorithmes du réseau social? Oui, mais il aurait fallu avoir la présence d’esprit de le faire en 2009 (et c’est plus difficile pour les photos mobiles que les régulières). Il est beaucoup plus facile de publier n’importe quoi sur Instagram et d’y accoler le mot-clic #10yearchallenge.

Facebook a d’ailleurs affirmé n’avoir aucun lien avec le défi. Mais en 2019, qui croit encore Facebook?

Le problème, c’est Facebook
Le #10yearchallenge ne met pas en évidence une nouvelle machination de Facebook. Il met plutôt en évidence à quel point le public n’a plus confiance en cette entreprise.

Même si la logique indique que le réseau social n’a rien à voir avec ce mème, la communauté techno préfère croire à la théorie du complot. Après Cambridge Analytica, les vols de données personnelles et les déboires de Sheryl Sandberg de l’année dernière, il est difficile de la blâmer.

Je ne pense pas que Facebook soit derrière le #10yearchallenge. Mais l’entreprise de Mark Zuckerberg n’a qu’elle à blâmer pour la popularité de cette théorie.

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