Itinéraire d’un perfectionniste

Une fois par mois, Métro propose, en collaboration avec le projet Alliés Montréal de la Conférence régionale des élus de Montréal (CRÉ), des portraits inspirants de Montréalais issus de l’immigration qui témoignent de leurs parcours et de leurs succès.

L’humour combat le stress: Sergii Starodubtsev l’a bien compris et ponctue son histoire d’anecdotes rocambolesques. Quand Métro a pris rendez-vous pour une entrevue, il a demandé un mois de délai. Question de se préparer…

Sergii arrive avec un texte minutieusement étudié. Plus à l’aise en anglais, il tient cependant mordicus à raconter son parcours en français. Il l’a donc couché par écrit. «Quand j’ai passé l’examen oral de français en Ukraine, j’avais aussi tout écrit.» Tétanisé par le stress, il avait alors eu beaucoup de mal à articuler quelques mots. L’examinateur chargé d’évaluer sa maîtrise de la langue restait perplexe. Les résultats de Sergii au test de français passé dans une des écoles les plus exigeantes du pays étaient excellents. «Je lui ai tendu mon texte, raconte-t-il. En Ukraine, un proverbe dit que, sans papiers, on n’a pas d’identité. Alors, je traîne mes écrits, ça m’aide à être quelqu’un!»

Convaincus que l’herbe est plus verte ailleurs – «l’Ukraine n’a jamais été stable depuis 1917», constate-t-il –, Sergii et sa femme caressaient depuis longtemps le rêve d’immigrer quand ils arrivent à Mont­réal, en 2012. C’est leur «véritable immigration»: le couple avait auparavant quitté l’Est ukrainien pour l’Ouest. Une autre langue (on parle russe au levant, ukrainien au ponant), une autre culture, une expérience enrichissante. «Je pense le monde comme un programmeur: en informatique, on réalise toujours un bêta [version test d’un logiciel]. Quitter Kharkiv pour Lviv a été notre bêta!»

Pourquoi Montréal ? Sergii et sa femme ont d’abord lorgné du côté de l’Angleterre. «Trop chère.» La Suisse? «Quasi impossible d’obtenir un statut de résidence.» En Australie, araignées et serpents rebuteraient sa femme. Ils entendent parler du Québec. «J’ai été séduit par l’idée que, quelque part en Amérique du Nord, on parle français», indique-t-il.

Sergii débarque à Toronto en 2012. «Avec le chat de la famille; ma femme y tenait.» L’animal lui vaudra une nuit à la belle étoile dans les rues de la Ville-Reine : tous les trains pour Montréal n’acceptent pas les bêtes, il faut attendre celui du lendemain. Il prend son mal en patience, et pendant la nuit a des visions de chat en méchoui…

«Le défi de trouver un emploi n’était pas technique, mais culturel. Il faut apprivoiser les mœurs locales.» – Sergii Starodubtsev

Sa femme et leurs filles le rejoignent deux semaines plus tard. La famille s’installe à Anjou, Sergii trouve un emploi dans une entreprise de jeu en ligne basée à Kahnawake, un mois après son arrivée. «La programmation informatique est une langue universelle»: Sergii n’a pas besoin d’équivalence de diplôme. Il est brillant et peut compter sur un solide CV: 8 ans d’université, 2 diplômes (microélectronique et analyse de systèmes informatiques), 10 ans d’expérience. Malheureux dans ce premier emploi aux conditions qui ne le satisfont pas, il démissionne. Sans se douter que le processus d’embauche au Québec peut s’avérer passablement plus complexe qu’en Ukraine! Trente candidatures et deux entrevues plus tard, il entre chez BMC, en mars 2013.

Sergii s’est accroché au rêve d’offrir à ses filles de meilleures conditions de vie. À force de patience et de persévérance, il a appris à garder son sang-froid «quand on a l’impression que ça ne finira jamais, toutes ces démarches». Il n’a pas parlé à sa femme de notre entrevue. «C’est une surprise. Je veux qu’elle comprenne que si j’ai été capable de faire ça, en français, elle peut tout réussir.» Façon de l’encourager dans sa recherche d’emploi. Au fil de la rencontre, Sergii s’est éloigné du texte qu’il avait préparé. L’humour a volé la vedette au stress.

Tam-Tam Canada a produit une version radio de ce reportage. Cette dernière est disponible sur le site de RCI.