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Cachez cette grossesse que je ne saurais voir…

anémie grossesse
Photo: Métro

Alors que les femmes occupent de plus en plus de postes clés, une grossesse ne devrait plus être un frein à leur carrière.

Pourtant, bien des femmes cachent leur grossesse, de peur d’être discriminées… même si la Charte des droits et libertés de la personne interdit cette discrimination. Une femme devrait-elle cacher ou non sa grossesse pour s’assurer de gravir les échelons?

La loi… et la réalité
Question simple à première vue, mais sans réponse facile, répond d’emblée Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme. «Dans les faits, il est interdit de discriminer une femme pour une grossesse, donc il n’y a aucune raison de la cacher, fait-elle valoir. Mais si je me fie à ce que je vois et à ce que j’entends, c’est assez fréquent qu’on questionne une femme sur ses plans familiaux. Et si un patron a devant lui un homme et une femme de compétences égales, j’ai bien l’impression que la question de la maternité et du congé parental influence sa décision, que ce soit de façon consciente ou inconsciente.»

À la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, les plaintes reçues à ce sujet ont augmenté au cours des dernières années, passant de 14 en 2010-2011 à 36 en 2014-2015. La Commission des normes du travail a quant à elle traité 362 plaintes dont le motif était «salariée enceinte» en 2013-2014, ce qui représente près de 10% des plaintes totales.

Mis à part ces chiffres, aucune donnée n’existe au Québec sur cet enjeu. Les conclusions d’une étude menée par le gouvernement du Royaume-Uni pourraient cependant être représentatives de notre réalité, croit la présidente du Conseil du statut de la femme. Selon cette étude, 70% des agences de recrutement se font demander par leurs clients d’éviter d’embaucher des femmes enceintes ou en âge de procréer, et 80% des gestionnaires des ressources humaines disent «y réfléchir à deux fois» avant d’embaucher une jeune mariée dans la vingtaine. De plus, 45% des répondantes dans ce groupe d’âge affirment avoir subi de la discrimination.

Le coût de l’honnêteté
Isabelle (nom fictif) croit aussi que ces résultats pourraient être représentatifs du marché du travail québécois. Jeune directrice des relations de travail dans une grande entreprise, elle en entend de toutes les couleurs. «Il y a énormément de discrimination en RH contre les femmes», se désole-t-elle. Un recruteur qui choisit une femme de 45 ans plutôt qu’une autre de 25 ans pour réduire les risques que celle-ci tombe enceinte, un patron qui se plaint qu’une employée enceinte ou nouvellement maman ne compte plus que pour une demi-employée, ne faisant désormais plus que 50% du travail qu’elle abattait avant, etc. Isabelle croit ainsi qu’une jeune femme perd souvent des points dans un processus d’embauche ou de promotion pour cette raison.

Malgré cela, la jeune mère de famille avait décidé de jouer la carte de l’honnêteté lors du processus d’embauche lancé pour combler son poste de directrice. «J’étais en congé de maternité quand j’ai fait cette entrevue, et j’avais l’impression que je n’aurais pas le poste pour cette raison, se souvient-elle. Je sentais que je n’avais rien à perdre et je leur ai dit d’emblée que je voulais un autre enfant après mon premier, mais pas tout de suite.» Son honnêteté, loin de lui nuire, a plutôt été appréciée. «On m’a dit que c’était tout à mon honneur, d’être aussi transparente», raconte-t-elle.

Mais aujourd’hui, alors qu’elle aspire à un poste hiérarchiquement plus élevé pour lequel elle juge avoir toutes les compétences nécessaires, elle croit fermement que ses projets familiaux la disqualifient d’emblée. «On m’a clairement dit que je n’aurais pas ce poste parce que je suis une femme», s’insurge-t-elle.

Pour éviter de passer à côté d’une occasion en or, les femmes semblent être nombreuses à choisir plutôt de cacher leur grossesse ou leurs plans familiaux à leur employeur. Google répertorie d’ailleurs pas moins de 565 000 résultats lorsqu’on recherche «Cacher sa grossesse au travail».

Sur les forums de discussion, les femmes sont nombreuses à avouer avoir caché une grossesse pour obtenir un poste ou le recommander de la cacher aux autres femmes qui s’interrogent. «Ce n’est pas scientifique, mais ça démontre à quel point il y a certainement une discrimination systémique dont les femmes sont tout à fait conscientes», fait valoir la présidente du Conseil du statut de la femme.

Cela dit, Mme Miville-Dechêne ne veut pas se prononcer quand on lui demande si les femmes devraient ou non cacher leur grossesse à un employeur. «Ça appartient à chaque femme», dit-elle. Elle est pour sa part convaincue que ce type de discrimination sera enrayé le jour où les hommes et les femmes prendront de façon générale des congés parentaux égaux, comme le démontrent quelques études. Les lois le permettent actuellement, mais dans les faits, c’est loin d’être le cas.

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