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Des médicaments psychotropes pour des détenues

TORONTO – L’ombudsman des prisons du Canada fait enquête sur les pratiques entourant les prescriptions de médicaments au sein des pénitenciers fédéraux, après qu’il eut été révélé que plus de 60 pour cent des détenues recevaient des remèdes pour des problèmes psychiatriques.

Une enquête conjointe de La Presse Canadienne et de Radio-Canada laisse entendre que 63 pour cent des détenues emprisonnées (370 sur 591) dans cinq pénitenciers recevaient de tels médicaments en août dernier. Ces remèdes ont des impacts sur l’humeur et le comportement.

Lorsque les résultats de l’enquête sont divisés par région, ce taux de prescription grimpe à près de 75 pour cent dans des prisons comme l’Établissement Joliette pour femmes (Québec), l’Établissement Nova pour femmes (Nouvelle-Écosse) et l’Établissement de la Vallée du Fraser pour femmes (Colombie-Britannique).

Il s’agit d’une hausse importante par rapport à 2001, lorsqu’une étude de Service correctionnel Canada faisait état d’un taux de prescription de 42 pour cent. Cette étude avait alors soulevé des craintes à propos de ce que l’on qualifiait de «surprescription» de médicaments psychotropes dans certaines prisons.

Les données d’août 2013 ont été colligées par l’enquêteur correctionnel du Canada Howard Sapers après que Service correctionnel eut affirmé ne pas conserver les dossiers de prescription de médicaments des détenus.

M. Sapers a entamé son enquête après que d’ex-détenues et leurs défendeurs eurent confié à La Presse Canadienne et à Radio-Canada que de la quétiapine — un médicament antipsychotique approuvé pour le traitement de la schizophrénie et des troubles bipolaires — était prescrite à des détenues comme pouvant aider à mieux dormir.

Selon le service correctionnel, ce médicament, vendu au Canada sous la marque Seroquel, n’est prescrit aux détenues que pour soigner ces deux maladies mentales.

Mais une note d’information interne du service, obtenue grâce à la Loi sur l’accès à l’information, démontre l’existence de craintes, dès 2011, sur la possibilité que la quétiapine soit prescrite pour des usages non-approuvés, et ordre est donc donné de cesser cette pratique d’ici au 30 juin de cette année-là.

«Dans une tentative de mieux contrôler la circulation de la quétiapine au sein du service, le Comité national pharmaceutique et thérapeutique a recommandé que la quétiapine ne soit subventionnée que pour ses usages officiels: schizophrénie et troubles bipolaires», mentionne la note.

Un groupe d’aide dont les travailleurs régionaux visitent les prisons pour femmes à tous les mois dit ne pas être en mesure de vérifier une diminution de l’usage du médicament, qui ne peut être prescrit aux détenues que par un médecin employé par la prison.

«Cela me pousserait à croire qu’il n’y a pas eu de diminution substantielle de l’utilisation du Seroquel», affirme Mme Pate.

Kim Pate, de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, affirme toutefois que le groupe de défense des droits des détenues continue d’apprendre que des femmes se font prescrire du Seroquel, et ce, majoritairement parce qu’elles se plaignent de souffrir d’anxiété ou de problèmes de sommeil.

Une ancienne détenue de l’Établissement Joliette pour femmes, qui a désiré conserver l’anonymat, dit s’être fait prescrire de la quétiapine après s’être plainte de problèmes pour dormir.

«J’ai entendu que plusieurs de mes amies étaient sous Seroquel parce qu’elles dormaient mal», dit-elle. Quelques jours plus tard, elle a cependant demandé de ne plus recevoir ce médicament.

«C’était trop fort pour moi. Je sentais que je voulais constamment manger… Et je tombais dans les pommes immédiatement. Je ne voulais pas devenir dépendante des médicaments, alors j’ai dû arrêter.»

Selon Santé Canada, certains des effets secondaires du médicament peuvent être mortels. Il pourrait causer le diabète, l’hyperglycémie, la constipation et l’obstruction intestinale, en plus de complications découlant de caillots sanguins.

«C’est un médicament antipsychotique, et lorsqu’il est utilisé sans discrimination, il peut tuer des gens», soutient le Dr David Juurlink, chef de la division de pharmacologie clinique et de toxicologie au Sunnybrook Health Sciences Centre, à Toronto.

«Même à court terme, les gens peuvent devenir très agités, ils peuvent avoir des mouvements corporels anormaux en raison du médicament, et, à long terme, ils peuvent développer certains aspects de la maladie de Parkinson, des troubles permanents du mouvement, ainsi que des anomalies musculaires ou des problèmes de régulation de la température corporelle pouvant être mortels.»

Au dire de l’enquêteur Sapers, les soins de santé dans les prisons fédérales sont «très chers». «De 215 millions $ à 220 millions $ seront dépensés cette année pour offrir des soins de santé aux détenus dans les pénitenciers fédéraux, et peut-être le quart de cette somme sera dépensée pour des médicaments sous ordonnance.»

M. Sapers précise que Service correctionnel Canada coopère avec son bureau dans le cadre de l’enquête, et qu’il espère pouvoir rapidement fournir des conclusions préliminaires.

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