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Soirée rétro vidéoludique entre amis

Photo: Denis Beaumont/Métro

bandeau spécial nostalgieDans un petit local qui a pignon sur rue dans le quartier Centre-Sud, à deux pas du métro Frontenac, se côtoient des combattants à la force surhumaine, des animaux aux pouvoirs magiques, des véhicules ultrarapides et des envahisseurs de l’espace.

Non, nous ne sommes pas dans le monde débordant d’imagination d’un enfant, mais bien dans l’univers rétro vidéoludique de Papa Cassette. Depuis plus d’un an, ce dernier, Dominic Bourret, de son vrai nom, organise, deux ou trois jeudis par mois, des soirées de rétrogaming, où des amateurs de «vieux» jeux vidéo se rassemblent pour jouer à Mortal Kombat, Donkey Kong, Space invaders et bien plus.

Dès 19h, des rétrogameurs s’installent devant une des 6 bornes d’arcade ou des 10 consoles de jeux vidéo – Nintendo, Atari, Genesis, Play-Station, Super Nintendo – qui composent l’arsenal de Papa Cassette. Sur les murs du petit studio, les personnages de Lethal Enforcers, de Bloody Wolf et d’Armored Warrior fixent les joueurs qui s’activent devant les écrans en poussant des jurons pleins d’entrain. Des centaines de jeux pour tous les goûts garnissent les étagères des bibliothèques.

Très vite, une vingtaine de gars – et une fille – remplissent le 1 et demie, et une joyeuse cacophonie s’installe.

ACTU - Nostalgie rétrogaming 2
La collection personnelle de Dominic Bourret (en blanc sur la photo) contient plus de 800 jeux vidéo.

Connu, entre autres, pour son blogue sur les jeux vidéo, Dominic Bourret a un jour été sollicité par le bar Foonzo pour mettre sur pied des soirées de rétrogaming. «Au début, je partais avec mon sac de gym rempli de consoles et de jeux, puis j’ai ouvert mon local pour faire de la vente de jeux», dit ce designer graphique de formation. C’est en effet la revente de jeux qui finance l’achat du matériel vidéoludique. Grâce à la popularité grandissante de son blogue, de ses capsules web et de baladodiffusion, Papa Cassette a réussi à attirer de nombreux rétrogameurs montréalais à ses soirées.

L’un deux, Mikaël Larouche, alias Darkshock, assiste aux soirées depuis leur création. «Je suis un trooper de la première heure», raconte-t-il fièrement. Il affectionne les jeux rétros pour leur simplicité: «C’est plus facile à naviguer», explique Mikaël, dont le jeu préféré est Mega Man X au Super Nintendo.

Jean-Luc Létourneau, lui, participe aux soirées depuis environ deux mois. Il est là pour rencontrer des gens qui aiment les mêmes jeux que lui. «C’est la même chose que les gens qui se réunissent dans un endroit pour parler de motos ou de n’importe quelle autre passion», explique-t-il. Qu’est-ce qui l’attire particulièrement dans le rétrogaming? «Ça me ramène en enfance, quand la vie était simple. On ne se cassait pas la tête.»

Quant à Étienne Cormier, dont le surnom de joueur est Mr. Juice, il aime beaucoup jouer à Qix, un jeu «super simple, auquel on devient vite accro, le fun et qui se joue avec juste une main.» Les réminiscences de sa jeunesse font aussi en sorte qu’il aime ces soirées où il s’est fait de nouveaux amis qui partagent la même passion. «Le rétrogaming, ça te ramène à ton enfance. C’est des bons souvenirs. [Ces soirées] nous donnent l’occasion de nous rassembler, de rencontrer du monde qu’on revoit à l’extérieur», confie-t-il.

Soirée rétrogaming Papa Cassette

La plupart des joueurs participant à la soirée sont d’accord pour dire que l’attrait des vieux jeux vient principalement de leur jouabilité et de leur aspect esthétique: les commandes sont simples, la façon de jouer en 2D est plus intuitive et plus fluide, il y a une plus grande liberté d’action que dans le 3D, la difficulté des jeux rétros est souvent plus élevée que celle des jeux modernes, et le style graphique, plus original, entre autres raisons.

Vu la popularité des soirées et le manque d’espace, Dominic Bourret et son partenaire d’affaires, Martin Hébert, veulent trouver d’ici l’été un endroit où ils pourraient ouvrir le premier Barcade (mot provenant de la combinaison de bar et d’arcade) de Mont-réal. «Je veux que ce soit chic et élégant pour que les filles aient le goût d’y aller elles aussi», précise Dominic.

Métro a testé… Addictif Galaga
Au cours de la soirée organisée par Papa Cassette, Métro a testé quelques jeux rétros, pour son plus grand bonheur.

Parmi eux, on compte Galaga, Donkey Kong 3, Qix et Mario Bros 3. Notre coup de cœur? Galaga! En gros, le jeu, créé en 1981 par Namco, consiste à piloter un vaisseau spatial qui se déplace uniquement de gauche à droite au bas de l’écran et qui ne dispose que d’un tir simple pour bombarder les vaisseaux ennemis qui tentent de le détruire. Sceptique au début à cause du look vieillot, Métro est vite devenu accro. C’est facile: il y a un bouton pour tirer, une manette pour se déplacer. Plus on joue, meilleur on devient, et meilleur on devient, plus on veut jouer… Et ça défoule!

ACTU - NOSTALGIE Rétrogaming Galaga

L’avis d’un sociologue: Joueurs nostalgiques

Le sociologue Laurent Trémel a répondu aux questions de Métro sur le phénomène des jeux rétro. M. Trémel est aussi auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages consacré à la pratique des jeux vidéo. Il est commissaire principal de l’exposition «50 ans de pédagogie par les petits écrans» présentée au Musée national de l’Education (Rouen, France) du 5 novembre 2015 au 10 janvier 2016.

D’un point de vue sociologique, comment expliquez-vous le si grand attrait, voire l’attrait grandissant, pour les «vieux» jeux vidéo?
La pratique des jeux vidéo gagne en légitimité culturelle. Au niveau sociologique, le rétrogaming» participe à ce processus. Un peu comme dans d’autres domaines (la bande-dessinée notamment), une «histoire» du jeu vidéo se constitue peu à peu. Cette histoire a un versant patrimonial. Des particuliers, mais également des institutions ont aujourd’hui le soucis de conserver des matériels «anciens»: des ordinateurs, leurs programmes, dont des jeux vidéo. Les aspects concernant les jeux vidéo sont les plus connus étant donné l’importance de cette pratique au niveau sociétal actuellement. On parle par exemple beaucoup moins de l’existence de programmes éducatifs ou professionnels conçus aux mêmes époques…

La nostalgie de l’enfance revient souvent quand on demande à un joueur pourquoi il aime les jeux rétro. Pourquoi?
C’est exact et cela répond à un mécanisme psychologique bien connu, mais cela n’explique pas tout. Le processus est lié au fait que les jeux vidéo ont gagné en légitimité. A l’occasion du rangement d’une pièce, ou d’un déménagement, des personnes «redécouvrent» parfois des jeux et des matériels anciens. Comme ces produits ont aujourd’hui une valeur culturelle, voire même marchande, ils décident de les garder alors qu’ils auraient pu autrement s’en débarrasser. Aujourd’hui, la plupart des enfants jouent à des jeux vidéo. Lorsque des adultes, nés dans les années 1970, 1980, 1990, ont des enfants, ils éprouvent parfois le besoin de rejouer à certains jeux anciens, de les faire découvrir à leurs enfants. Des passionnés de jeux vidéo, eux, n’ont pas cessé de jouer à ces jeux anciens en parallèle à la pratique de nouveautés. Ce sont en général ces passionnés qui structurent les communautés concernés par le rétrogaming.

Est-ce que les adeptes de retrogaming et ceux de modern gaming sont si différents? Est-ce que c’est le même genre de personne qui s’intéresse au rétro qu’au modern finalement?
Étant donné la diversification des publics des jeux vidéo, assez difficile de répondre précisément à cette question. Un «gamer» d’une trentaine d’années intéressé par les derniers jeux «à la mode» pourra aussi s’intéresser à des jeux anciens qu’il aura conservé. Toutefois, comme indiqué, un certain nombre de jeux sont aujourd’hui pensés et destinés à un public d’adolescents et de jeunes adultes. Sociologiquement parlant, ce public se distingue de la figure du rétrogamers, plus âgé.

On dit que le retrogaming est un phénomène sociologique multiforme, constituant à la fois une approche particulière des jeux vidéo, de l’art et de la culture vidéoludique, lié à l’archivage et à la collection. Pouvez-vous élaborer là-dessus?
C’est exact. Une partie des rétrogamers sont parfois tout autant intéressés par l’esthétique des jeux vidéo anciens (fortement pixelisés) que par les séquences de jeu. Des artistes s’inspirent de cet esthétisme dans le cadre d’œuvres d’art contemporaines. Des associations se constituent pour préserver ce patrimoine (en France, l’association MO5, du nom de cet ordinateur emblématique des années 1980, est la plus connue), alors que les institutions, les musées, commencent aussi à constituer des réflexions spécifiques sur ces questions (la problématique de l’émulation à la Bibliothèque nationale de France par exemple), ainsi que des collections de matériels. Je travaille au Musée national de l’Éducation (Rouen) et nous présentons actuellement, jusqu’au mois de janvier 2016, une exposition consacrant une part importante aux ordinateurs anciens, ainsi qu’aux jeux vidéo d’autrefois.

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