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Une journée de repos qui n'en est pas vraiment une

Michael Barry - La Presse Canadienne

Après 10 jours d’une course rigoureuse, le peloton du Tour de France a accueilli avec soulagement, mardi, la première des deux journées de relâche de l’épreuve afin de reposer ses membres meurtris et blessés.

Les coureurs n’ont pas à épingler leur dossard, n’ont pas à faire le déplacement vers et depuis la ligne de départ et n’ont pas été pris d’assaut par les amateurs ou les médias. Mais même en cette journée de repos, ils ont enfourché leur vélo pendant plusieurs heures avec quelques intervalles à haute intensité. Les jours de repos sont l’un des paradoxes du cyclisme professionnel.

La journée de repos est davantage une pause de l’intensité physique et mentale en course qu’un véritable congé. Dans le cadre d’un grand tour, les jours de repos sont comme des arrêts en bordure de route lors d’un long trajet en voiture, permettant de faire le plein et d’évaluer la route qui reste à parcourir.

Dans un sport où il n’y a pas de temps d’arrêt et où un coureur doit terminer chaque étape pour continuer le lendemain, la journée de repos est une courte pause pour les coureurs dans ce qui devient rapidement une course d’usure.

Sur papier, la première semaine du Tour a offert moins de montagne et a semblé être la plus facile des trois semaines de course. Mais tous les coureurs encore dans la course sont heureux d’avoir passé au travers.

Cette première semaine de course a décimé le peloton. Des 198 coureurs au départ, 20 ont déjà abandonné, la plupart en raison de blessures subies dans les nombreuses chutes. C’est le cas du Canadien Ryder Hesjedal. Deux de ses huit coéquipiers chez Garmin-Sharp ont également déclaré forfait alors que tous les autres poursuivent l’épreuve malgré les blessures. Pour eux, cette journée de repos sera un moment de réévaluer leurs objectifs et de panser leurs blessures.

À l’autre bout du spectre, le meneur de la course Bradley Wiggins et l’équipe Sky — l’équipe pour laquelle je cours; seulement neuf des 27 membres de l’équipe participent au Tour — peuvent planifier en toute confiance leur position en vue des prochaines étapes de montagne.

La première semaine du Tour crée de l’anxiété au sein du peloton. Dans les régions plutôt plates du nord de la France, le vent, les petites routes rurales et le peloton toujours énergique entraînent une nervosité qui se traduit souvent dans des chutes en cascade.

Cette année, la première semaine a été la pire des dernières éditions où les chutes ont éliminé plusieurs concurrents. Ignorant la gravité de leurs blessures et ne voulant pas tirer un trait sur leurs objectifs, des coureurs ont complété des étapes avec des poumons perforés, des os brisés et des éraflures. Ce n’est qu’une fois la ligne d’arrivée franchie qu’on évalue la nature des blessures. Après s’être entraîné pendant des mois pour se préparer pour le Tour et après avoir rêvé de l’événement depuis leur enfance, ils pédalent jusqu’à ce que leur corps les force à arrêter.

Dans les 11 grands tours que j’ai disputés — je ne participe pas au Tour de France cette année — j’ai appris à considérer les jours de repos comme des points de répère au milieu de l’atmosphère fébrile de la course. Pour composer mentalement avec les exigences d’une course de trois semaines qui couvrira plus de 3000 kilomètres et qui dure environ 90 heures, on fragmente le tout en étapes, les montagnes, les sprints, les villes et même les kilomètres individuels. Une journée n’est pas assez longue pour récupérer physiquement, mais elle facilite les choses mentalement.

La veille au soir avant chaque étape, les coureurs et le personnel reçoivent un horaire pour le lendemain qui décompose chaque heure et la distance. Pendant le Tour, les équipes se déplacent sans cesse. Elles passent autant de temps dans les voitures et les autobus pour aller de l’hôtel à la ligne de départ et de l’arrivée au prochain hôtel. Souvent, les organisateurs de la course planifient les longs transferts les jours de repos.

Les équipes sont alors obligées de passer d’une région à l’autre en avion, en train ou en voiture pour rejoindre la ville de départ du lendemain. Les heures passées dans un bus de l’équipe, coincé dans la circulation, sont loin d’être reposantes.

Lors d’un jour de repos, les coureurs sont capables de déconnecter mentalement pendant quelques heures, de dormir un peu plus longtemps et de soigner des blessures. En plus du temps consacré aux repas, aux entraînements d’équipe et aux soins, les équipes planifient des conférences de presse. Tout cela fait partie du travail.

Avec la pression constante de la compétition, nos corps s’habituent à ce rythme. Nos jambes, nos habitudes de sommeil, notre appétit et notre tempérament se mettent au diapason de la course. Après une journée de repos, nous avons parfois du mal à reprendre le rythme et on se sent parfois léthargique. Nos jambes font mal et nous ne sommes pas en mesure de suivre des coureurs que nous pourrions normalement laisser derrière.

Pour éviter ces effets, nous allons rouler à une intensité relativement élevée pendant la journée de repos. Certains coureurs de l’équipe vont pousser leur corps sur une montée difficile afin de simuler la course tandis que d’autres vont rouler dans le sillage de la voiture de l’équipe pour imiter la vitesse du peloton. Seul le coureur malade ou grièvement blessé ne monte pas sur son vélo.

Lors d’une journée de repos, nous cherchons aussi un retour momentané à la normalité. Certains coureurs s’arrêtent à un café dans un petit village à mi-chemin de leur entraînement tandis que d’autres iront faire une courte promenade dans la ville après le dîner. Il y a peu de ces moments-là pendant les trois semaines du Tour.

La journée de repos est le seul jour où les familles et les amis peuvent passer du temps de qualité avec les coureurs. Souvent, cependant, cela représente seulement une heure ensemble, dans un lobby d’hôtel ou sur une terrasse.

Le plus difficile est encore à venir avec les étapes de montagne et la lutte pour le maillot jaune ne fait que commencer.

— Michael Barry est un cycliste professionnel canadien et un auteur qui a pris part au Tour de France en 2010.

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