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Christiane Ayotte: «La lutte antidopage était vue comme une sous-science»

Director Christiane Ayotte is shown at the National Scientific Research Institute in Laval, Que., Wednesday, Jan., 13, 2010. The hallways at Canada's only permanent dope-testing facility at the National Scientific Research Institute are piled high with cardboard boxes, each labelled Anti-Doping Laboratory, Richmond Olympic Oval. The move is on for about half the staff and some of the equipment from the World Anti-Doping Agency-accredited lab in Laval, Que. to the temporary one that will take about 1,000 blood and urine tests per week during the 2010 Winter Games in Vancouver and Whistler, B.C. THE CANADIAN PRESS/Graham Hughes Photo: Graham Hughes/The Canadian Press

Dix ans après la suspension à vie de Geneviève Jeanson, la grande spécialiste du dopage Christiane Ayotte est revenue sur l’histoire de la cycliste québécoise et sur l’évolution de la lutte contre le dopage durant la dernière décennie, dans une entrevue avec Métro.

Le 18 janvier 2006, l’Association cycliste américaine a suspendu Geneviève Jeanson à vie. La cycliste avait été trouvée coupable d’avoir utilisé des substances interdites (de l’EPO) par l’Agence américaine antidopage. Même si elle a accepté une peine réduite cette année-là, Jeanson a arrêté la compétition. La Dre Christiane Ayotte, directrice du laboratoire de contrôle du dopage de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), à Laval, était aux premières loges pendant que cette histoire se déroulait sous les yeux des Québécois.

Quel impact a eu l’affaire Geneviève Jeanson? Est-ce que cela a permis de sensibiliser les gens au problème du dopage?
Apprendre qu’une jeune fille avait commencé à se doper à 15-16 ans, c’est un scandale qui, je pense, a ouvert les yeux de bien des gens. Jamais vous ne me ferez dire qu’elle le faisait pour être au même niveau que les autres. Ce n’est pas vrai que toutes les petites filles de 16 ans qui font du vélo sont dopées à l’EPO.

L’objectif, c’était de gagner à tout prix, dans un milieu qui valorise fortement les performances et le succès. Elle était dans un tourbillon et elle avait un entourage malsain. Même si cela ne lui enlève pas sa responsabilité, il y avait des crapules autour d’elle. De plus, elle était mal dopée. Elle était dopée comme personne ne l’était à ce moment-là. Atteindre des taux de 56% d’hématocrite (taux de globules rouges dans le sang très élevé), c’est vraiment n’importe quoi.

Quels genres d’impact un taux aussi élevé d’hématocrite peut avoir sur le corps?
Vous pompez de la mélasse au lieu du sang, donc il y a une surcharge pour le cœur. Il y a des risques de thrombose, d’accident cardio-vasculaire importants et de caillots sanguin. Quand quelqu’un prend de l’EOP, c’est une bombe à retardement.

Votre laboratoire a analysé des échantillons de Geneviève Jeanson à l’époque, et vous avez aussi commenté l’histoire dans les médias. Avez-vous subi des conséquences de votre implication directe?
Même après qu’elle a eu des résultats positifs aux tests de dopage, j’ai reçu des lettres de son entourage, mais aussi d’autres personnes qui demandaient que je m’excuse d’avoir dit qu’elle était dopée. Il y avait beaucoup de gens qui s’entêtaient à dire que les tests n’étaient pas bons. Peut-être qu’ils savaient qu’elle se dopait, mais que cela leur importait peu…

Est-ce qu’il y a quelque chose de bon qui est ressorti de cette affaire?
Il y a eu une relâche de la pression que nous subissions dans notre travail. Avant les années 2000, chaque test positif se faisait attaquer, et ce, dans tous les pays du monde. Il y a des experts de haut calibre, pas dans le monde de la lutte au dopage, mais quand même, qui ont affirmé qu’il s’agissait de faux positifs dans le cas de Mme Jeanson.

Avant son cas, et d’autres qui sont survenus à peu près à la même époque, la lutte antidopage était vue comme de la sous-science, et ça a débloqué à partir de ce moment. Ça a eu des répercussions au Québec, au Canada, mais aussi ailleurs.

Comment décririez-vous l’évolution de la lutte contre le dopage au cours des 10 dernières années?
Il est de plus en plus difficile d’attaquer les tests antidopage, qui sont maintenant très solides.

Il y a toutefois un paquet de petits produits que n’importe qui peut se procurer sur l’internet. Nous sommes obligés d’admettre que la majorité de nos jeunes, et c’est le cas dans le monde entier, ne comprennent pas le fonctionnement du corps humain et les dangers des médicaments.

Les gens savent que l’héroïne est dangereuse, mais quand un produit ne tue pas sur le coup, c’est plus difficile de les convaincre.

Est-ce que la situation s’est améliorée?
Oui, mais l’offre de dopage s’est diversifiée. Il y a plus de substances qu’il y en a jamais eu. Toutefois, les efforts antidopage sont meilleurs et plus percutants. Nous approchons du point de cassure dans le sport d’élite. Vous n’avez qu’à regarder les mondiaux d’haltérophilie (où des médaillés ont échoué des tests): ce sont de grands champions qui ont été attrapés. Un sport décapité doit faire un examen de conscience.

La Russie, accusée de dopage organisé, a été suspendue par la Fédération internationale d’athlétisme. Les conséquences sont réelles maintenant.
C’est vrai, mais il y a bien d’autres pays où ces choses se produisent, et dans d’autres sports. Il faut arrêter de soutenir l’attitude «gagner à tout prix». Il faut augmenter les connaissances des gens, pas juste celles des athlètes de haut niveau. Qu’ils sachent qu’ils sont en danger s’ils prennent ces produits. Et, politiquement, nous devrions arrêter d’être politiquement corrects. Je ne peux pas croire que ça prend 10 enquêtes pour constater qu’il y a de la corruption.

Il est parfois suggéré de légaliser le dopage sportif, tout simplement. Que pensez-vous de cette proposition?
Premièrement, tout le monde n’est pas égal face au dopage. Prenons l’EPO comme exemple. Sur cinq athlètes, celui qui prend de l’EPO va battre les autres. Mais ce n’est pas tout le monde qui réagit de la même façon. L’EPO va élever davantage les performances de certains.

De plus, en tant que citoyens qui regardent le sport, nous devons être prêts à nous en foutre que ces gens-là se tuent.

Du dopage sans effet secondaire, qui n’a pas de conséquences, ça n’existe pas. Ce ne sont pas des petites dopes. Ce sont des médicaments qui ont des effets secondaires puissants. Nous pouvons toujours nous dire que ce sont des adultes, mais on ne prend pas des décisions éclairées à 15 ans, ou même à 20 ans. Les jeunes de cet âge ont un sentiment d’invulnérabilité. Certains se disent «Je me dope pendant 10 ans, je ramasse un paquet de fric, et je serai capable de vivre avec les effets secondaires.» Prendre un médicament quand on n’en a pas besoin, c’est juste des risques.

Il est surtout question de dopage dans le sport amateur, mais comment les ligues professionnelles se débrouillent-elles dans ce domaine?
Le baseball majeur, pour qui nous faisons des tests, a un programme qui se compare avantageusement à des programmes de sports amateurs. On n’a jamais «enterré» de cas positifs dans aucune des ligues du baseball majeur.

Les progrès ont été phénoménaux au cours des 10 dernières années. À l’époque de l’histoire de Mme Jeanson, ça commençait à peine. J’ai crié pendant des années pour que ça s’améliore, car ce sont nos fils et nos filles qui rêvent de devenir de grands athlètes.

***
Les aveux

Après avoir longtemps nié, Geneviève Jeanson a avoué en 2007 s’être dopée.

Elle a fait sa sortie dans le cadre de l’émission Enquête, présentée à Radio-Canada. La Québécoise a notamment reconnu qu’elle avait commencé à prendre de l’EPO (un produit dopant présent dans le monde du cyclisme) dès l’âge de 16 ans.

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