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«Quel dommage»

A woman reacts at a memorial on Yonge Street the day after a driver drove a rented van down sidewalks Monday afternoon, striking pedestrians in his path in Toronto, Tuesday, April 24, 2018. THE CANADIAN PRESS/Galit Rodan Photo: Galit Rodan/La Presse canadienne

Révérence et menuet. Une autre semaine tout en alertes et notifications anxiogènes sur mon (votre, notre) téléphone intelligent, à se faire valser le toupette de «Bon, quessé astheure, viarge?» Parce que c’est devenu la première affaire qui me monte au bulbe, chaque fois que mon téléphone vibre au son d’une nouvelle annonce. «Qui est mort?» «Quel mollet s’est fait pulvériser d’une bombe à clous?» «Des gens sont-ils encore placardés dans un garde-robe à craindre pour leur vie et texter leur mamie, au moment où je lis cette terrifiante nouvelle?»

Qu’est-ce qui se passe, encore?

C’est automatique; et ce n’est même plus par curiosité ou par dédain de me faire expulser de la tension dramatique de la scène finale où Gildor Roy se décagoule dans un VUS, mais bien par angoisse, L’ANGOISSE de découvrir la prochaine tragédie dont on me décrira le sordide juste ce qu’il faut pour que je puisse m’y projeter. Pour que je puisse me dire : «Ç’aurait pu être moi. J’y étais la semaine dernière. J’ai côtoyé cet homme-là. Je mange aussi parfois des endives sur une terrasse. Il m’arrive même de marcher dehors. Marcher dehors. C’est fou, j’aurais pu m’y trouver.»

Et ça, ooooooooh que ça rentre au poste. Les petits écus dorés de la machine à sous des médias s’alignent comme un rêve et la cagnotte se met à cancaner dans le petit plat de métal du journal du soir. Tout le monde est rivé à l’écran. Chaque fois, on le dénonce, le spectacle qui suit. La vue à suspense qui se déploie le popcorn bien beurré pour nous retenir au sofa jusqu’à la Toussaint, assoiffés de détails et de portraits-robots de chair.

N’empêche qu’on est toujours au rendez-vous, orteils frisés vers le plafond, prêts à s’enflammer devant l’horreur du monde, mi-indignés, mi-divertis: «QUI diable est l’auteur de cette infamie? À quoi ressemble-t-il? Que mangeait-il pour souper? S’habillait-il chez L’Équipeur? Tiens! Il a des airs de ce camarade de classe dont les pupilles éteintes ne m’ont jamais rien dit de bon. Il avait tout de même une belle peau. Quel dommage.» Et c’est projetés dans ce film d’action des pauvres que, dans l’unique désir (que l’on croit d’abord sain) de comprendre ce qui est arrivé à des gens comme nous, on se ramasse à visionner obsessivement la vidéo de l’arrestation du principal suspect, décortiquée dans ses moindres plissures, commentée comme un match de hockey-bottine, une arrestation applaudie par la nation parce qu’effectuée par un policier qui a eu ce chic fou de ne pas utiliser son arme. On essaie d’en distinguer les traits du visage. On lui google la bette. On revisionne peut-être même de vieilles vidéos des événements de Columbine, dévastés et impuissants devant la détresse du monde.

Et chaque fois, on dénonce, index pointé vers son écran, le journal-spectacle qui nous attend aux aurores avec la biographie complète des excrétas d’un homme qui ne demandait que ça. Jusqu’à la prochaine fois.

La bise.

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