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La lingua franca

Unseen man about to kick a football Photo: Getty Images/iStockphoto

En fin de semaine dernière, j’étais au parc Père-Marquette (1637-1675) avec mon fils de six ans. Nous profitions d’une journée merveilleusement estivale pour ne pas faire grand-chose, lui tournant le plus vite en rond sur son vélo pour être étourdi; moi regardant une partie de soccer sur le grand terrain gazonné, en sifflotant sobrement.

Les joueurs que je regardais étaient tous dans la vingtaine ou la trentaine, et tous étaient d’assez bons joueurs qui maniaient le ballon rond avec adresse. On pouvait faire l’hypothèse que ce sport, à la popularité planétaire, faisait partie de leur vie depuis l’enfance. Il y avait aussi deux ou trois joueurs beaucoup plus âgés, la soixantaine avancée, les cheveux blancs, le visage ridé. Ils couraient moins vite que les plus jeunes, mais compensaient ce manque d’athlétisme par une bonne vision du jeu et par des passes précises. C’était impressionnant de les voir être si combatifs.

J’étais du côté d’un des gardiens, qui criait à ses joueurs consignes et encouragements. Il tenait à la fois les fonctions de capitaine, d’entraîneur et d’officier de morale, motivant ses troupes bruyamment en espagnol, probablement sa langue maternelle, et celle qui semblait être la plus parlée parmi les joueurs. Ceux-ci provenaient surtout d’Amérique latine – des Colombiens, des Chiliens et au moins un Cubain qu’on appelait «El Cubano». Sur le terrain résonnaient les «Miralo!» «Marca la pelota, cabrón!» «Vamos!» Mais l’espagnol n’était pas la seule langue parlée par ce regroupement international. Le gardien/capitaine criait aussi des encouragements en italien «Dai dai ragazzi!» et en anglais «Come on guys! Keep pushing!»

La principale critique qu’on adresse habituellement au multiculturalisme canadien pensé par Pierre-Elliott, c’est qu’il noierait la spécificité québécoise dans une mer de spécificités d’importance égale, sans égard à la culture, l’ethnicité ou l’histoire. La peur de perdre son identité est fortement ancrée chez plusieurs Québécois francophones, en raison notamment de la menace culturelle (perçue ou réelle) qui plane sur leur histoire.

Cette crainte est particulièrement forte quand il s’agit de la question de la langue d’usage. Mais ce débat touche toutes les sociétés d’accueil : comment vivre avec la diversité culturelle et linguistique? Vaut-il mieux imposer une identité commune ou laisser les communautés libres de choisir de s’intégrer ou non?

Pendant que je réfléchissais à cette question complexe, l’autre équipe marqua un but contre mon gardien qui explosa de colère. Il cria à ses joueurs de venir vers lui pour une réunion de toute urgence concernant la préoccupante situation de l’équipe.

Le gardien, hors de lui, décida de s’adresser à ses joueurs dans la seule lingua franca appropriée à sa colère, le seul espéranto propice à sa fureur. Il cria : «COUDON, LÀ, LES GARS, RÉVEILLEZ-VOUS! FAUT-TU QUE J’AILLE POTER DES BUTS À VOTRE PLACE?! ON SE FAIT DÉMOLIR, CIBOLE!»

En l’entendant s’exprimer ainsi, sans aucun accent, j’ai souri, enveloppé d’un sentiment bizarre de fierté et de surprise.

Je me trouvais un peu stupide d’être surpris.

Puis, je me suis dit que je paierais un bon montant d’argent pour que le joual devienne, ne serait-ce qu’une seule journée, la langue officielle de l’ONU.

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