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«L’esclavage n’a jamais cessé dans le monde»

COX'S BAZAR, BANGLADESH - JANUARY 17: A woman cooks on January 17, 2018 in Cox's Bazar, Bangladesh. In the refugee settlement of Balukhali, over 116 widows and orphans have found shelter within a dense settlement of 50 red tents where no men or boys over the age of 10 years old are allowed. More than 655,000 Muslim Rohingya have crossed the border into Bangladesh since August last year, when they fled Rakhine state after the Myanmar military launched a brutal crackdown which was described by the United Nations as "ethnic cleansing". Women and girls reportedly make about 51 percent of the distressed and traumatized Rohingya population in the refugee camps and face a high risk of being victims of human trafficking and sexual abuse, while adolescent girls aged between 13 and 20 risk getting involved in forced marriages. Many of the Rohingya women travelled alone after their husbands had been killed or taken away during the attacks on Rohingya villages as many continue to fear returning home due to the lack of security guarantees. (Photo by Allison Joyce/Getty Images) Photo: Getty

L’an dernier, des images obtenues par CNN montrant des esclaves vendus sur le marché noir en Libye ont fait le tour du monde. Métro fait le point sur l’esclavage, toujours vivant, qui prend le visage de la traite humaine.

«L’Organisation internationale du travail estime que près de 21 millions de personnes dans le monde sont victimes de travaux forcés. Cette statistique comprend les victimes du trafic lié au travail et à l’exploitation sexuelle», souligne la branche des Nations unies. Elle insiste également sur le fait que «tous les États sont touchés par le trafic humain, que les victimes quittent un pays, qu’elles y arrivent ou encore qu’elles y transitent».

«La traite est la continuité d’un vieux problème d’esclavagisme qui n’a malheureusement jamais cessé, mais qui a pris une autre forme», explique à Métro Jasmine O’Connor, directrice d’Anti-Slavery International.

Mme O’Connor ajoute que le trafic humain continue d’être un problème international parce que «des gens choisissent d’exploiter des personnes plus vulnérables et que les gouvernements ne font rien pour empêcher la chose».

Les solutions pour s’y attaquer semblent encore peu concrètes, bien que la question soit une des priorités des Objectifs de développement durable 2030 que les 190 pays des Nations unies se sont engagés à respecter en 2015.
Ces objectifs appellent à la fin de la traite des enfants et des violences commises contre eux et demandent que des mesures concrètes soient adoptées contre le trafic humain en général. Il est aussi question de stopper toute forme de violence et d’exploitation envers les femmes et les filles.

Une des mesures pour assurer la prévention de la traite exige que les «gouvernements de la planète, y compris les États-Unis, fassent tout ce qui est en leur pouvoir afin de fournir une procédure d’entrée sécuritaire et légale pour les immigrants ainsi que des normes justes en matière de travail», indique Kathleen Kim, chercheuse à la Loyola Law School, à Los Angeles.

«Les pays développés, comme les États-Unis, qui reçoivent un plus grand nombre de travailleurs issus du trafic humain, devraient aussi aider économiquement et politiquement au développement des pays d’où partent les victimes de traite», ajoute-t-elle.

Les victimes peuvent être exploitées de plusieurs façons: exploitation sexuelle, travail forcé, mariage forcé, crime forcé, servitude pour dettes et même trafic d’organes. «Les conséquences de la traite sont terribles. Les victimes deviennent des esclaves, leur vie est contrôlée. Il n’y a pas d’issue possible, souligne Jasmine O’Connor. Le trafic est bien réel et il est plus près de vous que vous ne le croyez. Ouvrez les yeux. Regardez les gens que vous croisez dans la rue et demandez-vous s’ils sont des victimes du trafic humain. Observez les produits qui vous entourent et demandez-vous si vous participez aussi au trafic humain.»

«Toute personne mérite de vivre en liberté. Les gouvernements de la planète ont l’obligation de garantir ce droit de base», insiste Kathleen Kim.

«Tant que l’humanité sera capable de vice…»

Entrevue avec Judith Kelley, spécialiste des affaires internationales et doyenne de la Sanford School of Public Policy de l’université Duke, à Durham, en Caroline du Nord, aux États-Unis.

À quoi doit-on s’attaquer pour éradiquer le problème de la traite humaine?
Le trafic humain est le commerce et l’exploitation d’êtres humains. Le problème est aussi vieux que celui de l’esclavage. Il remonte donc à plusieurs milliers d’années, alors que la pratique était normale, voire légale. La traite humaine est une version moderne et cachée de cela. J’aimerais vous dire que le problème s’estompera, mais, comme avec n’importe quel crime, tant que l’humanité sera capable de vice, la chose persistera. Cependant, nous pouvons travailler afin de réduire le nombre de victimes. Pour ce faire, il faut poursuivre notre travail d’éducation. En ce sens, la Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains est importante. Tout comme le fait de traquer et de condamner les trafiquants.

Quel est le coût du trafic humain à l’échelle planétaire?
C’est très difficile à établir. Les statistiques sur le nombre de victimes ne sont pas fiables. En 2012, l’Organisation internationale du travail (OIT) estimait que 20,9 millions de personnes étaient victimes de travaux forcés, mais cela n’inclut pas toutes les formes de trafic. C’est une grosse business. Une étude de 2014 de l’OIT rapportait que les profits liés au travail forcé et à la traite humaine se chiffraient à 150 G$US. En réalité, comme il s’agit de crimes cachés, ces données sont difficiles à mesurer. Le vrai coût, cependant, n’est pas chiffrable : des vies sont brisées et perdues, des enfants sont blessés, des parents sont en deuil. Il n’y a pas de prix au malheur des victimes.

Existe-t-il des programmes de soutien aux victimes afin de les aider à se relever?
Plusieurs organisations non gouvernementales viennent en aide aux victimes. Elles offrent des refuges, du soutien psychologique, des conseils légaux et, parfois, des formations professionnelles. Une liste de ces organisations est disponible en ligne (globalmodernslavery.org). Plusieurs pays ont aussi mis sur pied des services d’assistance téléphonique. La ligne américaine (1 888 373-7888) permet de communiquer des informations sur des victimes de partout sur la planète.

Quel diagnostic pouvons-nous poser?
Il est difficile de dire si le problème de la traite humaine s’aggrave ou si nous en sommes simplement plus conscients. Les arrestations et les procès sont en hausse, mais le nombre de condamnations demeure bas en comparaison de l’ampleur du problème. Davantage de pays s’attaquent au phénomène, mais plusieurs pourraient faire bien plus. Le gouvernement américain a publié un rapport sur l’implication de chaque pays. Vous pouvez ainsi voir ce que votre pays fait (ou ne fait pas).

Quels sont les facteurs qui rendent la traite humaine possible?
Tout dépend du type de trafic. Différents facteurs rendent possible l’exploitation de travailleurs, le trafic sexuel, le travail infantile, les mariages forcés… À la base, toutefois, on remarque que le trafic survient dans des populations pauvres qui recherchent une vie meilleure. Plusieurs personnes profitent de cette situation pour les exploiter.

La migration est un élément clé du problème. En quoi les récents flux migratoires ont-ils aggravé la situation?
La migration n’est pas liée directement à la traite humaine, dans le sens où les migrants initient un mouvement et font un choix somme toute consenti. Toutefois, les mouvements migratoires représentent des voyages très dangereux pour les principaux intéressés, qui doivent payer des prix exorbitants et subir des traitements épouvantables. Plusieurs passeurs deviennent des trafiquants ou, du moins, ne se soucient pas vraiment du sort des convois.

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