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Un féminisme mur à mur avec les reines du graffiti

Photo: Photo : courtoisie de Panmela Castro

Que sont les mots comparés à une image saisissante que des milliers de personnes peuvent admirer? Bien peu de chose. C’est pourquoi les féministes brésiliennes font appel à un nouveau médium: le graffiti. (Lisez aussi Deux femmes qui parlent aux murs)

Toute jeune déjà, Panmela Castro aimait flâner avec les garçons. Il était donc naturel pour elle de se joindre à eux lorsqu’ils dessinaient des graffitis. «C’était étrange pour eux, mais j’étais meilleure qu’eux, donc ils me permettaient de rester», se rappelle-t-elle.

Maintenant adulte, Castro fait encore des graffitis. En fait, elle est à l’avant-plan d’une brigade de graffeuses féministes brésiliennes.

«Au début, je faisais des œuvres comme les garçons en faisaient», dit la résidante de Rio. Mais j’ai vite voulu faire plus et exprimé mes idées.» Et les idées de Castro étaient claires : la situation des Brésiliennes doit changer.

Castro, parfois aidée par d’autres graffeuses, a réalisé des portraits de femmes époustouflants sur des murs partout dans le monde. Ses œuvres ont connu un si grand succès que des compagnies lui en ont même commandé pour embellir leurs quartiers généraux.

Castro, en fait, dirige un réseau en pleine expansion de femmes défavorisées qui se rassemblent pour peindre des graffitis et en apprendre sur l’émancipation des femmes.

«Panmela est féministe, mais elle ne recrute pas les membres en fonction de leur allégeance à la cause : elle la leur insuffle en se basant sur les arts», explique Jessica Cabon, chercheuse à l’Université de New York et auteure d’un livre consacré à la présence des artistes graffeuses dans la culture du hip-hop et du graffiti.

«Elles peignent, mais dans le processus, elles apprennent que c’est criminel de se faire violer, que c’est incorrect que leur mari les batte. Et comme le groupe de Panmela est souvent payé pour faire des murales, ces femmes ne se renforcent pas qu’au niveau émotionnel, mais aussi sur le plan financier.

Ananda Nahù, une autre graffeuse brésilienne, peint quant à elle des icônes de la lutte féministe. «Mon intention est de montrer une réalité et de laisser le spectateur en proie aux questions et à la réflexion», explique-t-elle.

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Les graffitis comme médias politiques n’ont rien de nouveau au Brésil. La peinture à la bombe est légale sur la place publique et, par conséquent, elle est devenue un moyen d’expression pour la population.

Mais la majorité des graffitis faits au Brésil sont trop conformistes, dénonce Nahù : «Ils répondent aux attentes du marché et des firmes qui cherchent à se moderniser et à accompagner les changements sociaux. La grande majorité des graffitis servent seulement à décorer.»

Elle dénonce les «décorateurs de rue», qu’elle accuse de toujours peindre la même chose «uniquement pour se faire de la publicité eux-mêmes.» Lorsqu’on lui demande de décrire son art, Nahù affirme que c’est un style qui allie une délicatesse féminine à des références sociales et qu’elle tente de créer des œuvres devant lesquelles les passants se sentent partie prenante.

En fait, les graffitis féministes deviennent un phénomène mondial grâce à des femmes qui peignent leurs idéaux dans des pays aussi différents que l’Égypte et la Colombie.

Mais au Brésil, cet art trouve un écho unique. Selon Gabon, «les artistes brésiliennes peuvent prendre leur temps lorsqu’elles font une œuvre, parce que c’est une activité légale. Naturellement, cela permet de produire des peintures saisissantes qui interpellent beaucoup les gens et qui leur transmettent un message.»

Slogans sur les édifices : vandalisme ou art politique?

Avez-vous déjà remarqué un haut édifice dont la façade est remplie de slogans? Au Brésil, des édifices entiers peuvent être recouverts de tags : un aspect qui peut être laid pour le regard.

Mais les artistes du graffiti brésiliens l’appellent pixação et considèrent que c’est l’expression légitime d’un style artistique, louant la beauté de la calligraphie.

«Je crois que le pixação aura toujours une plus grande puissance artistique et politique que le graffiti, explique l’artiste Ananda Nahù. Ça traite des problèmes de société et ça proteste contre les gouvernements. En plus d’être anonyme, c’est à la portée de tout le monde.»

C’est exactement le problème pour la police, qui doit attraper ces artistes qui descendent les toits en rappel pour peindre leur slogan sur les façades.

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«Une parole libérée» Analyse de Gregory Snyder, professeur de sociologie, Université Baruch; auteur de Graffiti Lives: Beyond the Tag in New York’s Urban Underground

Comment les graffitis peuvent-ils transmettre un message politique clair?
Certains disent que le vandalisme artistique est un acte politique en soi, mais des graffeurs ont aussi un message artistique dans leur travail. À New York, ils s’opposent souvent à une guerre ou au maire. En Israël et en Palestine, les enfants utilisent le graffiti pour faire entendre leurs opinions sur l’occupation, et les graffitis ont également été importants pendant le Printemps arabe. Le peuple s’exprime sur les murs lorsque sa liberté de parole est brimée. Mais il y a aussi des graffitis qui marquent l’appartenance à un groupe ou qui véhiculent des slogans politiques.

Le graffiti n’est plus à contre-courant. Est-ce un danger pour cet art?
Quand les gens se regroupent pour commettre quelque chose d’illégal, c’est pur. Mais ce n’est pas mauvais d’être payé pour le faire. Les graffeurs font des carrières. Il y a certainement plus de gens, aujourd’hui, qui font du graffiti dans l’espoir d’être payé, mais il n’y a jamais eu d’«âge d’or» où l’argent n’était pas impliqué. Et d’abord, pourquoi certains devraient-ils être payés pour leurs toiles, tandis que d’autres ne pourraient pas l’être pour leurs graffitis?

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