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Cinq ans après la révolution égyptienne, une autre révolution est possible

Des partisans des Frères musulmans ont défilé dans les rues du Caire hier, pour commémorer le cinquième anniversaire du soulèvement qui a déposé Hosni Moubarak au profit de Mohamed Morsi. Photo: Hesham Elkhoshny/The Associated Press

Cinq ans ont passé depuis qu’un soulèvement populaire a chassé du pouvoir l’ancien raïs égyptien, Hosni Moubarak. Ces émeutes, qui ont enfanté de la «révolution du 25 janvier», étaient gonflées par l’espoir de mettre un terme à un régime policier brutal et répressif. Mais le Centre Nadim, un groupe local de défense des droits de la personne, a enregistré, pour la seule année 2015, 474 morts survenues au cours d’une détention et quelque 700 cas de torture. Les Frères musulmans, désormais sur la liste noire des autorités égyptiennes, ont appelé la population à descendre dans les rues du pays pour commémorer la révolte de 2011. Métro a discuté de la situation avec Ivan Eland, directeur du Centre sur la paix et la liberté de l’Independant Institute, aux Etats-Unis.

Certains observateurs estiment que l’Égypte se retrouve dans une situation pire aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Qu’en pensez-vous?

Oui, l’Égypte d’aujourd’hui est pire que sous les années de Moubarak. Le respect des droits humains se détériorent, et la répression féroce que le président actuel, Abdel-Fattah al-Sissi a exercé contre les Frères musulmans a fait émerger une insurrection islamiste importante. L’économie non plus ne va pas mieux. Et pour couronner le tout, les Etats-Unis n’entretiennent pas une aussi bonne relation avec le régime actuel qu’avec le gouvernement de Moubarak. Rappelez-vous : Washington a suspendu l’aide qu’il accorde à l’Égypte après qu’Al-Sissi se soit hissé au pouvoir par la force en déposant le gouvernement élu de Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans.

Quelle est la situation en ce qui a trait aux droits humaines?

Moubarak avait un piètre historique en matière de défense des droits de la personne, dont peu de gouvernements se souciait avant le soulèvement populaire de 2011. Mais depuis qu’il est au pouvoir, Al-Sissi s’est efforcé d’éliminer la seule force politique qui le contestait – les Frères musulmans. Il doit désormais combattre une insurrection islamiste armée et plusieurs mouvances terroristes, notamment dans la péninsule du Sinaï. Pour faire face à toutes ces menaces, Al-Sissi a recouru à une répression encore plus brutale que celle des années Moubarak.

Pourquoi Al-Sissi craint-il temps les Frères musulmans?

Al-Sissi craint encore les Frères musulmans, parce qu’ils jouissent d’une énorme popularité en Égypte, et la répression qu’il leur oppose ne fait que renforcer leur statut auprès de leurs concitoyens. Malgré cela, les Etats-Unis, un appui majeur au gouvernement égyptien, ont décidé de rétablir les milliards d’aide au pays, malgré la répression dont fait usage le régime.

Quels sont les défis auxquels l’Égypte doit faire face, et que faudrait-il faire pour les relever?

Les Égyptiens devraient résoudre eux-mêmes leurs difficultés, et les puissances étrangères devraient demeurer en dehors de ces problèmes. Si la communauté étrangère veut faire quelque chose, ce devrait être de couper son aide au gouvernement d’Al-Sissi. Ça ne résoudrait pas tout, mais au moins ça arrêterait de contribuer l’appareil répressif de ce régime despotique. Al-Sissi ne tolèrera pas que les Frères musulmans entrent au gouvernement, même s’il s’agit de la seule force politique populaire du pays. Plus longtemps durera cet entêtement, plus intense sera l’insurrection islamiste à laquelle le régime est confronté.

De plus, le tourisme continuera d’en souffrir, ce qui n’arrangera en rien la reprise économique. Pour commencer à sortir du trou, le gouvernement égyptien devrait arrêter d’opprimer les Frères musulmans aussi durement. Ça n’arrivera pas, je crois, puisqu’Al-Sissi a conscience qu’une telle action libèrerait des forces qu’il ne serait pas en mesure de contrôler. Les problèmes dont souffrent l’Égypte n’ont donc aucune réponse, à moins que l’armée décide de renverser Al-Sissi.

Est-ce qu’une révolution semblable à celle de 2011 est susceptible de survenir dans le pays?

Une révolution est toujours possible. Si elle devait survenir, cette révolution ne serait probablement pas pacifique. Les gens savent désormais où mènent les manifestations pacifiques.

Que réserve l’avenir à l’Égypte?

Davantage de répression jusqu’à ce que la marmite bouille au point de faire éclater une nouvelle révolution. Aucun indice permet de savoir quand cela arrivera, toutefois. Des endroits comme la Corée du Nord parviennent à oppresser leur peuple pendant des décennies. Les révolutions surviennent souvent quand l’économie s’améliore et que les attentes de la population par rapport au gouvernement sont déçues. Ce n’est pas le cas de l’Égypte aujourd’hui. Si la prospérité sonne à la porte du pays, les conditions pour qu’Al-Sissi soit renversées seront meilleures. L’avenir est porteur d’inconnu, et nul ne sait si une Égypte sans Al-Sissi serait meilleure. L’Égypte n’a presque jamais connu la démocratie, et un nouveau soulèvement pourrait bien enfanter d’une nouvelle dictature.

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