Soutenez

L'accrocheur scolaire

Quand Robert Chauvette était petit, il ne rêvait pas. Il ne voulait pas devenir un astronaute pour explorer les étoiles ou même un joueur d’hockey pour gagner la Coupe Stanley avec Jean Béliveau. Il ne rêvait pas. Point.

Dans la famille d’accueil où il vivait, les coups et les insultes étaient son lot quotidien. «Tu ne feras jamais rien de bon», lui disait-on, tout en le traitant de «rebut» et de «bâtard». Pourtant, aujourd’hui, à 50 ans, il est bien déterminé à terminer ses études secondaires et rêve de pouvoir gagner sa vie en aidant les autres.

Dans la cafétéria du centre Gédéon-Ouimet, une école du Centre-Sud de Montréal qui loge dans un bâtiment centenaire de la rue Poupart, une vingtaine d’élèves profitent de la pause du dîner. L’un joue du piano, l’autre a le nez dans un livre et quelques-uns échangent sur la pluie et le beau temps.

Au centre de la salle commune, près des grandes fenêtres, un élève est assis à son bureau, bien concentré à lire le journal à l’aide d’une loupe. «Il faut que j’aille me faire opérer, lance Robert Chauvette. J’ai des cataractes. J’ai commencé [mes cours de 4e secondaire] cet été. Je suis prêt à aller à l’examen, mais je ne peux pas à cause de ma vision. Je veux répondre comme il faut aux questions.»

M. Chauvette n’est pas un raccrocheur. Il est un accrocheur. Avant d’arriver dans cette petite école de la Commission scolaire de Montréal, il n’avait jamais usé ses pantalons sur les bancs de l’école. Orphelin de naissance, il a commencé sa vie dans une crèche, avant d’être adopté par une famille d’accueil à la campagne. «La madame gardait l’argent, raconte-t-il. Elle nous envoyait sur sa terre pour travailler plutôt que de nous envoyer à l’école. À 18 ans, les services sociaux m’ont dit: « Tu t’en vas, tu te débrouilles. »»

Arrivé à Montréal sans un sous en poche, Robert Chauvette a vécu dans la rue. Pendant quatre ans, il a arpenté les rues de la grande ville, jusqu’au jour où un organisme l’a aidé à sortir de la spirale de l’itinérance.  Il a alors décroché un petit boulot, puis un autre et un autre.

«Chaque matin, je me demandais si j’allais me faire mettre dehors parce que je ne savais pas lire, ni écrire», confie le quinquagénaire, qui misait surtout sur sa «mémoire phénoménale» pour ne pas éveiller les soupçons.

Pendant près de trente ans, il a «tricoté» entre les emplois. Son dernier boulot, il l’a gardé pendant six ans jusqu’au jour où son patron s’est rendu compte qu’il était analphabète et l’a viré. Emploi Québec lui a proposé d’aller à l’école. Sans autre issue, Robert Chauvette a accepté.

«Plus mon âge avance, plus mes problèmes de santé remontent, plus ça va être difficile d’aller sur le marché du travail», dit-il.

Lorsqu’il est arrivé au centre Gédéon-Ouimet, il y a trois ans, Robert Chauvette a eu l’impression de se retrouver dans une garderie. La vaste majorité des élèves étaient âgés de moins de 25 ans. Ils avaient pour la plupart déjà entamé leur cheminement scolaire, contrairement à lui

«Tout ce que le prof disait, les jeunes le connaissaient, rapporte-t-il. J’étais en arrière et je ne savais rien. Il a fallu que je travaille [doublement] pour terminer en même temps.»

Au début, lorsqu’il revenait chez lui, après sa journée à l’école, Robert Chauvette continuait à s’exercer à lire et à écrire jusqu’à 2h du matin. Puis, à 6h, il était de retour à l’école. Le français a été la matière qui lui a donné le plus de fils à retordre. «J’étais pas habitué de faire des phrases et de conjuguer, dit-il. J’écrivais au son dans les premiers temps. Quand tu écris au son, tu écris mal. Les rédactions, j’ai beaucoup de misère.»

«Mais il était décidé et motivé», a souligné l’une de ses enseignantes, Hélène Béliveau.

Malgré ses difficultés, qui n’ont rien à voir avec des troubles d’apprentissage, l’élève studieux a réussi à lire et à écrire. Ses enseignants lui disent même qu’il a une belle écriture. Il a déjà lu deux livres, dont Le souffle de l’harmattan, de Sylvain Trudel.

«Ça me prend six mois pour lire un livre. Je ne suis pas assez habitué, comme une personne qui lit un roman au bout d’une semaine.» – Robert Chauvette, élève du centre Gédéon-Ouimet

Le directeur du centre Gédéon-Ouimet, Stéphane Richard, n’hésite pas à souligner que M. Chauvette «a fait neuf ans d’école en trois ans».

Depuis quelques mois, Robert Chauvette fait ses travaux scolaires à la cafétéria, au rez-de-chaussée. Loin d’être une punition, c’est plutôt une permission spéciale qu’il a obtenue de la direction puisqu’il avait de plus en plus de difficulté à monter les escaliers du bâtiment de trois étage, en raison de ses problèmes de dos.

Cette présence au centre de l’école, mais aussi le fait qu’il ne fasse pas de cachette sur son parcours semé d’embuches, font en sorte que des élèves, en proie à des difficultés de toutes sortes, se confient à lui. «Je ne fais pas de leçon de morale, dit-il. On parle comme des amis.» Il utilise aussi le café étudiant, dont il est responsable, pour redonner confiance à des jeunes en mal d’estime de soi. Il fait aussi appel aux enseignants et à la direction lorsqu’il sent qu’un élève est sur le bord du précipice.

Même s’il est très engagé dans son école, Robert Chauvette pense déjà au moment où il la quittera. Le direction promet à la blague de «lui botter le derrière» pour qu’il vole de ses propres ailes, précisant sérieusement que «l’éducation aux adultes n’est pas une fin en soi». Au moment du passage de Métro, M. Chauvette était sur le point de rencontrer un conseiller pour l’aider à définir son avenir, mais il avait déjà son plan, celui de devenir surveillant dans un centre d’éducation aux adultes. Parce qu’il rêve de pouvoir aider les autres.

Retrouver l’estime de soi

Plus d’un millier d’élèves fréquentent le centre Gédéon-Ouimet à tous les ans.

  • Le dénominateur commun de tous ces adultes à la recherche d’une scolarisation est le manque d’estime de soi, rapporte l’enseignante Hélène Béliveau. «On travaille beaucoup plus sur l’estime de soi que sur l’académique», note-t-elle.
  • Dans les classes, souvent silencieuses, chacun avance à son rythme, grâce à l’apprentissage par modules. Pendant que plusieurs font des exercices dans un cahier, un élève consulte l’enseignant en chuchotant.
  • «Les gens arrivent ici parce qu’ils ont un vécu, ajoute le directeur du centre, Stéphane Richard. Ils ont eu des difficultés d’apprentissage, ils ne sont pas allés à l’école ou ils ont une vie de chien. Au final, ils sont tous ici pour une raison. Ça les unit et ça encourage le respect. Ils savent que l’autre, il ne l’a pas eu facile.»
  • Les élèves sont souvent confrontés aux difficultés du passé pendant leur passage à cette école du Centre-sud, a expliqué M. Richard, ce qui fait que parfois des élèves se découragent, sont en crise ou ferment leurs livres.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.