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L’itinérance, pas qu’au centre-ville

young homeless boy sleeping on the bridge, poverty, city, street Photo: Getty Images/iStockphoto

Alors que s’est tenu hier le deuxième dénombrement des personnes en situation d’itinérance 
à Montréal, Métro s’est intéressé à plusieurs facettes de ce phénomène. Voici le troisième 
et dernier volet de cette série, qui porte sur l’itinérance à l’extérieur du centre-ville.

«[Dans Côte-des-Neiges], l’itinérance n’est pas celle du centre-ville. Les gens ne quêtent pas dans la rue», explique Bernard Besancenot, coordonnateur des programmes sociaux et des services communautaires de MultiCaf, une ressource communautaire qui offre du dépannage alimentaire et qui accueille les gens pour des repas communautaires dans l’arrondissement, juste à côté du parc Kent.

C’est en servant les repas que les intervenants de l’organisme ont eu accès à cette «itinérance cachée». «Il y a cinq ou six ans, j’ai été le premier à en parler, commente 
M. Besancenot. Des parents sont venus me voir parce que des hommes utilisaient les jets d’eau dans le parc Kent pour se laver. Les gens m’intimaient de faire quelque chose; ils ne voulaient pas les voir là. Je n’ai pu que leur répondre: mais où iront-ils, alors?»

Un des problèmes avec l’itinérance en dehors du centre-ville réside dans la difficulté qu’ont ces personnes vulnérables à être perçues comme des «itinérants», rapporte Bernard Besancenot. Ce terme est fortement associé, selon lui, à l’itinérant chronique du centre-ville, qui se promène d’une ressource à une autre.

Le professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal Jean-Marc Fontan confirme que l’itinérance à l’extérieur du centre-ville augmente et qu’elle est bien particulière: «Lorsqu’on l’observe de près, on y voit l’apparition de nouvelles formes d’itinérance», avance-t-il.

Sa collègue de l’École de travail social de l’Université de Montréal, Sue-Ann MacDonald, croit pour sa part que «le manque de reconnaissance de cette réalité fait qu’on ne s’y intéresse pas, politiquement parlant. Dès lors, les fonds ne sont pas octroyés pour aider cette problématique qui n’existe pas», note-t-elle.

«Lorsqu’on rencontre [des personnes en situation d’itinérance dans le quartier], elles nous disent ‘‘non, non, pas nous, voyons donc; on n’est pas des itinérants, nous autres’’.» –Bernard Besancenot, coordonnateur des programmes sociaux et des services communautaires de MultiCaf, qui travaille dans Côte-des-Neiges

Le mal-logement
Pour le coordonnateur de MultiCaf, les personnes qui habitent dans un logement représentant «une contrainte supplémentaire [dans le règlement de] différentes problématiques [santé mentale, toxicomanie, prostitution]» et qui «n’assurent pas [leur] bien-être» sont en situation d’itinérance puisqu’elles sont hautement à risque.

«Pensons à ces femmes qui se trouvent un conjoint pour la nuit simplement pour avoir un toit; à ces gens qui restent à l’urgence pour ne pas être à la rue; à cette dame croisée l’autre soir qui a un logement, mais qui préfère dormir en refuge; aux gens qui dorment dans leur véhicule…», donne-t-il en exemple. Couchsurfing, crowding: différentes stratégies sont utilisées pour ne pas se retrouver à la rue.

La directrice générale d’Action jeunesse de l’Ouest-de-l’Île (AJOI), Tania Charron, abonde dans le même sens en évoquant une itinérance attribuable à «l’instabilité résidentielle» plutôt qu’une itinérance chronique. «L’exemple typique est ce jeune d’un groupe, mis dehors par ses parents à cause de la consommation, qui se trouve un travail et un appartement, souligne-t-elle. Il devient alors le pilier d’un groupe de jeunes qui ne savaient pas où habiter. Les 10-12 jeunes se retrouvent chez lui, dans un 3 ou 4 et demi. Ça devient le spot. La situation devient vite invivable. Le pilier se met en échec. Il perd son emploi, son appartement. Un nouveau du groupe s’est trouvé entre-temps un emploi, et c’est chez lui que tous se retrouvent.»

«[Dans l’Ouest-de-l’Île], c’est comme si la richesse cache la pauvreté et l’itinérance, près des joueurs de hockey et autres politiciens», ajoute le coordonnateur de l’AJOI, Mardoché Mertilus.

Mme Charron parle aussi du couchsurfing, qui consiste à se promener de sofa en sofa pour trouver un toit. «Il y a des jeunes femmes qui ‘‘échangent’’ des services sexuels ou domestiques pour rester dans un appartement», dit-elle.

Pour ces personnes en situation d’itinérance, la solution n’est pas d’aller en refuge au centre-ville, insiste Mardoché Mertilus. «Amener des jeunes de 17-18 ans dans un refuge avec des gens habitués à l’itinérance, cela peut empirer leur situation, surtout qu’ils ne se considèrent pas comme des itinérants, dit-il. Ils ont peur de cette étiquette».

Quoiqu’elle considère que le dénombrement «est une méthode valable faisant preuve de flexibilité», Tania affirme que pour obtenir un vrai portait de l’itinérance, «il faut tenir compte de d’autres différents indices».

«La réalité est occultée, renchérit M. Besancenot. La réalité est bien plus complexe que ça. Il faut pouvoir rencontrer ces gens pour pouvoir les dénombrer.»

Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal réclame pour sa part des portraits de l’itinérance par quartier montréalais, auxquels les acteurs locaux seraient appelés à contribuer. «Il faut offrir une diversité de réponses», insiste Alice Le Petit, organisatrice communautaire.

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