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Projet de loi 21: un autre regard sur la laïcité

Le crucifix de l'hôtel de ville de Montréal Photo: Josie Desmarais

Le projet de loi 21 sur la laïcité, qui interdirait le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, dont les enseignants et les policiers, déchaîne les passions au sein de la société québécoise. Métro en a discuté avec cinq personnes directement concernées par le projet de loi.

Gregory Bordan

L’avocat Gregory Bordan porte la kippa quotidiennement depuis qu’il a 18 ans. L’homme de 65 ans, qui approche de la retraite, a fait ses études universitaires et a exercé sa carrière en portant son signe religieux. Il n’a jamais senti que cela dérangeait le corps juridique ni les clients qu’il représentait. Me Bordan croit que le Québec crée une exclusion des minorités religieuses avec le projet de loi 21. «C’est de la discrimination et ça va avoir un effet de déchirement pour la société», affirme-t-il. S’il est adopté, le projet de loi 21 affectera le travail de l’avocat montréalais dans la mesure où il ne pourrait plus travailler sur des mandats gouvernementaux donnés à son cabinet. «En acceptant ces mandats, le cabinet accepterait d’inclure dans les contrats une clause discriminatoire qui m’écarterait.» Cela lui donne l’impression qu’il n’est plus un avocat à part entière. Me Bordan est outré des déclarations du ministre Simon Jolin-Barrette qui a invité «les gens qui portent un signe religieux à cheminer aussi dans le parcours personnel» comme la société québécoise qui a cheminé au cours des années, lors du dépôt du projet de loi sur la laïcité. Me Bordan voit en cela un signe que le ministre considère que la non-religion est supérieure à la religion. Selon lui, le projet de loi pousse la population du Québec à penser que les personnes portant des signes religieux ne sont pas fiables.

Caroline Gehr

La professeure de mathématiques et de sciences dans une école secondaire du Montréal English School Board Caroline Gehr est aussi juive orthodoxe. Elle porte un tichel, un foulard couvrant ses cheveux. Alors que le gouvernement n’a pas encore défini ce qu’est un signe religieux dans le projet de loi 21, Caroline Gehr estime que son foulard l’est, car elle le porte pour des raisons religieuses. Avec la clause grand-père de la loi 21, Madame Gehr ne pourrait plus changer de poste si elle souhaite garder son tichel. Pour elle, cela la met dans une situation de vulnérabilité et de rejet. «J’ai l’impression d’être un imposteur, c’est comme si maintenant, on me laissait entendre que je ne devrais pas être là.» Madame Gehr qui a décidé d’enseigner au public croit que le projet de loi encourage l’exclusion des gens de sa communauté. «Il y a beaucoup de gens qui vont dans les écoles juives orthodoxes et ne considèrent même pas envoyer leurs enfants dans les écoles publiques, car ils ont trop peur de quitter leur communauté. Moi j’ai spécifiquement décidé d’enseigner dans une école publique, pas parce que je veux influencer les gens à être comme moi, mais parce que je voulais m’intégrer et faire parti de la société» confie-t-elle. Madame Gehr pense que les personnes portant des signes religieux qui décident de travailler dans le domaine public sont déjà intégrées à la société. «Si quelqu’un ne veut pas s’intégrer à la société et rester dans sa communauté, il peut le faire en occupant un emploi qui ne requiert pas trop d’interactions avec le reste de la société. En interdisant l’accès à ces emplois aux minorités religieuses, le gouvernement pense qu’il les amènent à s’assimiler, mais cela ne fait que nous exclure de la société» estime-t-elle.

Nour Farhat

Née à Montréal-Nord, la juriste Nour Farhat souhaite s’impliquer dans le système judiciaire pour y faire valoir sa sensibilité. «Si je suis en droit, c’est pour tendre la main et défendre les droits de tout le monde, que ça soit les droits des victimes et sans jamais perdre de vue les droits des accusés». Être procureure de la Couronne au Québec, c’est sa vocation, confie à Métro l’avocate voilée. Pour l’accomplir, elle a déménagé il y a quelques années dans une autre ville pour y faire une maîtrise en droit criminel. Alors qu’elle achève ses études et s’apprête à accomplir sa vocation, le projet de loi 21 vient chambouler son plan de vie. Aujourd’hui, la juriste se sent abandonnée par son gouvernement.  «Mon intégrité professionnelle, c’est dans le vent à cause qu’il y a un projet de loi qui a une présomption que je ne suis pas neutre parce que je porte un signe religieux […] c’est comme si j’étais laissée pour compte, que mon travail et mes études ne valaient plus rien, que mes rêves n’étaient rien comparé à ceux d’autres personnes» affirme-t-elle. Me Farhat estime que le projet de loi 21 nuit à la diversité dans les institutions publiques. «Il y a une surreprésentation des personnes racisées en interpellation policière, à l’arrestation, en détention, dans les prisons  et en même temps de l’autre côté, il n’y pas une représentation des personnes racisées dans le système judiciaire. Notre système de justice ne reflète pas notre société et le projet de loi n’aide pas du tout.»

Amrit Kaur

La finissante en éducation Amrit Kaur porte le Dastar. «Plusieurs personnes pensent que ce turban est un signe culturel, mais il représente en fait l’égalité dans la religion sikhe.» Amrit explique que, même si ce sont souvent les hommes qui le portent, plusieurs femmes le portent également. Très attachée à ses convictions, elle ne souhaite pas retirer son Dastar. Pour elle, cela reviendrait à se mettre nue. Même si elle a fait ses études à Ottawa, la jeune femme qui habite au Québec depuis qu’elle a cinq ans, souhaite enseigner dans une école secondaire au Québec. «Le Québec c’est ma province, donc je veux y contribuer. Mais on me dit que je ne peux pas le faire en restant moi-même» martèle-t-elle. Souhaitant tirer profit de ses études et entrer sur le marché du travail, Mme Kaur vit dans l’insécurité depuis le dépôt du projet de loi 21. «Je me sens comme une citoyenne de seconde zone. J’ai l’impression que le gouvernement a une idée préconçue de moi et qu’il pense que les personnes qui portent un signe religieux sont des militants pour leur foi qui ne sont pas capables d’être neutres», renchérit-elle. Elle estime que le projet de loi sur la neutralité religieuse favorise les personnes qui n’expriment pas leur foi de manière explicite. «Qu’est-ce qui empêcherait un enseignant qui ne porte pas de signes religieux de parler de créationnisme à ses élèves. Il n’y a aucune mesure pour s’assurer que les enseignants ne fassent pas de prosélytisme», soutient-elle.

Micheline St-Jacques

Convertie à l’Islam, Micheline St-Jacques porte le hijab depuis plusieurs années. Pendant 14 ans elle a été enseignante. Aujourd’hui âgé de 65 ans, elle est à la retraite. Ayant commencé sa carrière en tant qu’enseignante dans une école islamique de Montréal, c’est dans un esprit de sortir du «ghetto» qu’elle a décidé de travailler dans les écoles publiques pendant sept ans. «Au début certains collègues avaient de la difficulté avec mon voile mais je me suis beaucoup impliquée dans des comités. Après ça, ils ont réalisé que j’étais une enseignante comme les autres», explique-t-elle. «Quand ils se rendent compte que tu es plus que ton signe religieux, ils arrêtent.» Pour elle, sa présence dans les écoles publiques a permis aux élèves d’être exposés à la diversité montréalaise et de donner espoir à ceux qui portaient des signes religieux et voulaient exercer un métier. Pour Mme St-Jacques, le projet de loi 21 entretient une peur de l’autre et divise la société. «C’est diviser pour mieux régner», estime-t-elle.

Qu’est-ce que la Laïcité ? 

« La laïcité n’a rien à voir avec le fait que quelqu’un porte un signe religieux, c’est un principe par lequel le gouvernement crée un espace neutre dans lequel il n’y a aucune discrimination. Dans un état neutre, la meilleure preuve que l’état est laïque est une diversité d’employés. D’ailleurs, si dans une société diverse on voit que les employés de l’état sont entièrement homogènes, on peut se demander si c’est véritablement un état neutre et laïque. » – Gregory Bordan, avocat en litige et résolution de conflits.

« Pour moi la laïcité est l’idée que l’État ne se mêle pas de la religion et c’est tout, ils ne devraient pas imposer la religion sur les gens. Les représentants de la religion tels que des enseignants ne devraient pas apprendre leur religion aux enfants, mais ça ne veut pas dire qu’on porte un signe religieux que nous disons aux enfants qu’ils devraient faire pareil. » – Carolyn Gehr, professeur de secondaire au Montreal English School Board.

« La laïcité signifie que l’État ne se mêle pas de la religion et que la religion ne se mêle pas de l’État, mais au Québec ça fait des décennies que ça fonctionne comme cela. La laïcité c’est la séparation des institutions publiques et des institutions religieuses. Donc un État qui détermine qu’est-ce qui constitue un signe religieux ou non, ce n’est pas la laïcité. C’est ce que le projet de loi fait en ce moment ; les signes religieux autochtones ne sont pas considérés comme des signes religieux, alors que le voile l’est. En ce moment, l’État se mêle de qu’est-ce qu’un signe religieux et qu’est-ce qui ne l’est pas. Ce n’est pas la laïcité pour un État de se faire théologien et d’établir ce qui constitue un signe religieux. » – Nour Farhat, avocate.

« Pour moi la laïcité c’est d’être neutre, peu importe la personne qui est devant toi. Que tes décisions ne soient pas teintées par ton Islam ou ta chrétienté. Je n’ai pas l’impression que le gouvernement actuel comprend ça. Ce n’est pas en enlevant les signes religieux qu’on va être plus neutres. Même les athéistes, dans leurs convictions athéistes, à quelque part, ils ne sont pas neutres » – Micheline St-Jacques, professeure de primaire à la retraite.

« Pour moi la laïcité c’est que l’État doit être neutre envers les gens, indépendamment de leurs religions. Donc, je devrais être traité de la même manière qu’une personne qui n’a pas de croyance religieuse » – Amrit Kaur, diplômée en éducation.

 

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