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Le 16 octobre 1970: la Loi sur les mesures de guerre était adoptée

Pierre Elliott Trudeau Photo: Central Press/Getty Images

Après plusieurs jours de tensions marqués par deux enlèvements successifs, Ottawa déclenche la Loi sur les mesures de guerre le 16 octobre 1970 afin de faire face à la menace posée par le Front de libération du Québec (FLQ). Retour sur cet épisode marquant de l’histoire de la province et de la métropole.

Le FLQ, un mouvement révolutionnaire qui prône la création d’un Québec indépendant et socialiste, enlève le 5 octobre 1970 le délégué commercial James Richard Cross, qui sera séquestré à Montréal-Nord. Le groupe radical tente alors de négocier sa libération avec le gouvernement provincial, en réclamant notamment la libération de plusieurs prisonniers dits «politiques» de même qu’un demi-million dollars. Des conditions rejetées par Québec, qui se montre ouvert à négocier.

Le mouvement radical procède ensuite à l’enlèvement du ministre du Travail et de l’Immigration, Pierre Laporte, le soir du 10 octobre. Six jours plus tard, alors que l’ancien journaliste est toujours pris dans les griffes du FLQ, le cabinet du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, à Ottawa, invoque la Loi sur les mesures de guerre, avec l’appui de Montréal et de Québec.

«Il y a une responsabilité qui est partagée. Et par conséquent, ça fait en sorte que cet événement continue d’être présent dans la mémoire collective […]. C’est le genre d’histoires qui se prête aux interprétations et aux ré-interprétations», a expliqué à Métro le politologue de l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily, qui se spécialise entre autres dans le nationalisme québécois.

Le Mouvement des Jeunes Souverainistes tiendra d’ailleurs ce soir une manifestation, dans le parc du Mont-Royal, en souvenir de ce jour sombre de l’histoire du Québec.

Les libertés civiles suspendues

Le 16 octobre 1970, il s’agit alors de la première et seule fois dans l’histoire du Canada que la Loi sur les mesures de guerre est invoquée en temps de paix. Auparavant, Ottawa y avait fait appel pendant la Première et la Seconde guerre mondiale.

Cette décision suspend les libertés civiles, permettant ainsi aux forces de l’ordre de procéder à des arrestations sans détenir de mandats. Dans les heures qui suivent, près de 8 000 soldats de l’armée canadienne sont déployés dans les rues de Montréal.

Une mesure qui visait tant à «tuer toute érosion du système démocratique par des groupes radicaux et moins radicaux» qu’à nuire à «la montée de l’idée d’indépendance du Québec», estime le professeur à la retraite à l’Université de Montréal spécialisé dans l’histoire du travail et du syndicalisme au Québec, Jacques Rouillard.

En tout, la police procèdera à plus de 3 000 recherches et mettra en détention près de 500 personnes en l’espace de quelques jours, dont plusieurs membres présumés du FLQ. La vaste majorité d’entre elles seront ensuite libérées sans être accusées.

Dans les dernières semaines, plusieurs voix se sont élevées, entre autres à Québec, pour demander au premier ministre Justin Trudeau de s’excuser pour la décision prise par son père 50 ans plus tôt, sans succès.

«Justin Trudeau aurait dû s’excuser pour la bévue de son père et du gouvernement fédéral. Un autre premier ministre l’aurait probablement fait, tout comme devraient y consentir le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal», estime M. Rouillard. Selon lui, Ottawa a fait appel à une force de frappe démesurée pour faire face à la menace que représentait alors le FLQ.

«Quand on parlait d’insurrection appréhendée, on voit bien maintenant qu’avec le FLQ, on était dans l’exagération.»
-Frédéric Boily, politologue

Un virage pour le nationalisme

Au lendemain du déclenchement de cette loi, qui rend le FLQ illégal, Pierre Laporte est retrouvé mort dans le coffre d’une voiture. Le groupe radical voit alors ses appuis s’effondrer dans la population, qui amorce un deuil collectif pour cet homme politique. Les Québécois revoient alors leur façon de «concevoir» le nationalisme, relate M. Boily.

«Ça donne un certain élan au nationalisme québécois pour se recentrer, intellectuellement et politiquement, sur une défense de la nation québécoise prise davantage sur le plan culturel», estime le professeur. En somme, les nationalistes de la province laisseront tomber l’approche radicale pour opter pour une méthode plus «parlementaire» – notamment via le Parti québécois – pour faire entendre leur voix, ajoute-t-il.

«Il faut rester aux aguets»

En 1988, le gouvernement fédéral remplace la Loi sur les mesures de guerre par une pièce législative aux pouvoirs plus limités, soit la Loi sur les mesures d’urgence. Celle-ci prévoit entre autres que les ordonnances du cabinet du premier ministre doivent recevoir l’aval du Parlement. Ottawa doit aussi prendre des décisions qui respectent la Charte canadienne des droits et libertés.

«Mais la loi existe toujours, et elle est tout aussi permissive en ce qui concerne la possibilité d’agir d’urgence et de ne pas respecter le partage des compétences», prévient le professeur titulaire de la Faculté de droit de l’Université Laval, Patrick Taillon.

Il faut donc «rester assez vigilants», estime l’expert. «Il ne faut pas être dans une logique de tout contre rien. Si on donne plus de pouvoirs à la police, il faut avoir un certain encadrement», croit M. Taillon.

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