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Le 281 a 30 ans

Il y a 30 ans jour pour jour, France Delisle ouvrait le premier bar de danseurs nus du Québec au 281, rue Sainte-Catherine Est, à Montréal. M. Delisle est alors propriétaire du Café Abitibi, où joue un big band live, concept qui s’essouffle à cause entre autres de l’arrivée du disco. Lors d’un séjour en Floride, un ami lui parle d’un endroit où des hommes se déshabillent pour des femmes. À l’époque, les Chippen­dales, cette troupe de mâles stripteaseurs, en était à ses débuts aux États-Unis. Selon France Delisle, le Québec était prêt pour ce genre de spectacle. L’avenir lui a donné raison!   

«Trois jours après l’ouverture, il y avait 45 danseurs sur 3 étages, 7 jours sur 7, de 14 h à 3 h. Ç’a été comme ça pendant trois ans. Des autobus remplis de passagers arrivaient du nord des États-Unis expressément pour venir au bar. Mon père me disait qu’il pouvait y avoir 15 bus alignés devant le club et sur Sainte-Catherine. Ça faisait partie de la visite de Montréal», explique Annie Delisle, la fille de France Delisle, aujourd’hui propriétaire de l’établissement.

La clientèle d’hier à aujourd’hui
Au début des années 1980, la clientèle du 281 était un peu plus âgée qu’en 2010. «Je pense qu’à l’époque, les femmes de 40-50 ans ont vu ça comme une revanche, car elles avaient souvent vécu certaines injustices sociales. Il y a eu la femme-objet, puis ce fut l’homme-objet. C’était à leur tour de se payer un homme», explique Mme Delisle.

Aujour­d’hui, le 281 ratisse plus large, et toutes les occasions sont bonnes pour aller y faire un tour : enterrements de vie de fille, anniversaires, «showers» de bébé et même party de divorce! «Notre noyau dur est constitué de celles qui sortent dans les bars, soit les filles qui ont entre 18 et 35 ans», poursuit-elle.

En plus d’avoir rajeuni, les filles du 21e siècle s’assument beaucoup plus que leurs prédécesseures. «Elles draguent même les danseurs. C’est comme un défi pour certaines.» Ce qui n’a cependant pas changé depuis 30 ans, c’est la mentalité de l’établissement et son mandat: divertir les femmes et les rendre heureuses. «Les filles viennent ici pour s’amuser sans se faire achaler par un gars saoul. Elles sont en sécurité au 281. Elles lâchent leur fou sans se soucier d’être jugées», précise la tenancière.

C’est aussi l’avis de plusieurs clientes. «J’aime le 281 parce que c’est un endroit chaleureux. Les employés sont toujours souriants et sympathiques, et les shows sont de qualité», confie Marie-Ève, qui vient régulièrement s’amuser au club.

Pour Patricia, le 281 a changé la façon dont elle se percevait : «Même si je sais que les hommes sont payés pour cela, je me sens désirée, je vis des émotions intenses.» Même son de cloche du côté de Christine, qui y est allée pour la première fois afin de fêter ses 19 ans et qui y retourne dès qu’elle en a l’occasion. «Je trouve que c’est agréable, car tu passes une super soirée avec tes copines, tu ne te fais pas achaler par des gars, la musique est bonne, il y a une ambiance de rêve. Quand je vais là, je décroche, je me gâte. Ça fait cinq ans que je fais danser le beau Francesco…. c’est comme des préliminaires qui s’éternisent sur des années…»

Les danseurs à travers le temps

Quand le 281 a ouvert ses portes, il n’existait aucun précédent au Québec ni même au Canada. Les apprentis danseurs n’avaient pas de références masculines; donc, ils apprenaient sur le tas. «Les gars n’avaient pas de modèles, et donc leur façon de danser était assez féminine, car ils imitaient les danseuses», explique Andrew, le doyen des danseurs du 281. Annie Delisle ajoute qu’il y avait même des hommes qui arrivaient vêtus en majorette et d’autres qui étendaient une couverture sur la scène pour se trémousser dessus, comme les danseurs avaient l’habitude de le faire à l’époque.

Depuis 30 ans, le look des danseurs a beaucoup changé. Dans les années 1980, la mode était aux hommes plutôt minces et moustachus, au torse velu et à l’intense chevelure frisée. Ils portaient des bottes de cowboy, des G-strings et même des chandails bedaine. Puis, dans les années 1990, la tendance a favorisé les gars aux cheveux très longs de rock star et aux muscles gonflés. Finalement, les années 2000 mettent l’accent sur des hommes glabres au corps plus athlétique. Plusieurs danseurs arborent de nombreux tatouages et des piercings.

Andrew, dit l’Homme, travaille au 281 depuis 22 ans. Il avoue sans gêne ne pas savoir très bien danser, ce qui fait qu’il met l’accent sur la mise en scène et la sensualité dans ses numéros. Le danseur de 40 ans affirme que l’attitude des danseurs a aussi changé avec le temps. Pendant de nombreuses années, ils travaillaient presque toute la semaine, de jour et de nuit, ce qui leur permettait de créer des liens plus serrés entre eux. «On était plus proches avant parce qu’on était souvent ensemble. On mangeait, on sortait, on allait jouer au hockey. On était comme des frères. Les gars sont plus sérieux aujourd’hui. Avant, on faisait souvent le party.»

Déménagement et succession

De son vivant, France Delisle avait déjà proposé quelques fois à sa fille de reprendre les rênes de l’entreprise. Annie, qui travaillait dans le domaine des communications, avait toujours refusé, jusqu’au jour où le projet de déménagement du Club a fait surface. «Le bail avec l’UQAM venait à échéance, et j’étais dans une période où j’étais un peu tannée de ce que je faisais. Partir un projet à zéro me motivait beaucoup. Il a fallu tout repenser. C’était à moi de réfléchir à ce que je voulais faire avec le Club», soutient-elle.

À la suite du décès de son père en décembre 2002, elle achète les parts des membres de sa famille et prépare le déménagement. Une nouvelle ère commençait. Elle a donc troqué les murs en tapis qui décoraient le club pour les colonnes en palmiers de l’ancien cabaret Casa Loma, au 94, rue Sainte-Catherine Est.

Depuis janvier 2004, le 281 a fait peau neuve, mais certains préjugés persistent. Bien que les profits des festivités du 30e anniversaire seront versés à la Fondation du cancer du sein, celle-ci s’est dissociée de l’événement. «Je suis étonnée qu’il y ait encore des préjugés, surtout de la part des gens qui ne sont jamais venus ici. Quand on prend la peine de venir faire un tour, on s’aperçoit que c’est festif et qu’on travaille dans le respect. Je ne prétends pas changer des vies. Je fais du divertissement pur et dur pour des filles qui veulent s’amuser.» Et en trente ans, aimer avoir du plaisir est une tendance qui n’a sans doute pas changé.       

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