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Un témoin raconte la frappe où Bony Jean-Pierre a trouvé la mort

Photo: FELIX O.J. FOURNIER/TC Media

Arrêté à Montréal-Nord le 31 mars pour complot, possession et trafic de stupéfiants, François* a vu de près l’intervention qui a mené à la mort de Bony Jean-Pierre, puis à des émeutes dans l’arrondissement. Partie de poker avec sa bande, stupéfiants et, surtout, peur de mourir: il raconte cette journée funeste.

Le ton est calme, et le discours, précis. Souriant et sûr de lui, François admet d’emblée qu’il n’a rien d’un enfant de chœur.

«J’ai eu des démêlés avec la justice, des affaires que je n’aurais pas dû faire. Mais on n’est pas des gros criminels. J’ai eu des problèmes de drogue, de possession, mais jamais d’armes à feu ou d’arrestation pour taxage», indique-t-il.

Après avoir quitté l’école avant la fin de son secondaire, François, qui occupe un emploi à plein temps, comptait sur la vente de drogue pour arrondir ses fins de mois de «200 ou 300 piasses». Il a eu plusieurs démêlés avec la justice ces dernières années, comme a pu le constater TC Media.

Drogues et jeux de hasard
Lorsqu’il ne travaillait pas, François passait son temps dans un appartement de la rue Arthur-Chevrier, qu’il louait avec une quinzaine d’individus «pour que tout le monde ait la paix».

Des policiers leur avaient déjà dit: «Au lieu de traîner dans la rue, pourquoi vous louez pas un appart? On va vous crisser la paix.»

Au programme, tous les jours: poker, dés, jeux vidéo et marijuana. François rejette l’idée d’un important lieu de vente de drogue. «C’était une maison de paris, pas de trafic. Chacun venait avec sa consommation ou on se dépannait. Le pot, on l’achetait ailleurs. Il n’y a pas de citoyens qui venaient demander de la drogue. Mais il y avait beaucoup de va-et-vient, même des chauffeurs de taxi qui venaient jouer.»

C’est devant ce logement que Bony Jean-Pierre finira par trouver la mort.

«Ils viennent nous tuer… »
Le 31 mars dernier, vers 16h15, des airs de rap accompagnent une partie de poker enflammée. Assis dans la cuisine avec six autres compagnons de jeu, François perd quelques centaines de dollars.

Bony Jean-Pierre, 46 ans, considéré «comme un grand frère», arrive dans l’immeuble, salue ses amis et se roule un joint dans une autre chambre qui donne sur la porte d’entrée.

Quelques minutes plus tard, des coups retentissent. «La porte d’entrée a été défoncée. Ils [le Service de police de la Ville de Montréal, SPVM] tiraient des trucs aveuglants, on ne voyait plus rien, détaille François. On a entendu un sifflement puis des coups de feu. Tout le monde a paniqué. Certains ont tenté de s’enfuir.»

«Moi, je me suis caché derrière la table de poker. Je l’ai mise sur moi pour me protéger. Personne n’a dit “police”, on ne savait pas qui c’était. Parmi nous, il y en a qui ont fréquenté des gangs. On ne savait pas s’ils avaient des affaires en cours. Durant tout ce temps, dans ma tête, je pensais à des représailles, à du monde venu pour nous tuer.»

Au bout de «quatre ou cinq minutes», les intrus annoncent qu’ils sont de la police. «La tension a diminué», se souvient-il. Menottés, tous les occupants sont fouillés. François aperçoit Bony Jean-Pierre dehors, étendu au sol après avoir tenté de s’enfuir par une fenêtre. Au cours de l’assaut, il aurait été touché à la tête par une balle de plastique.

«Il agonisait, ne parlait pas, respirait difficilement. Un policier m’a emmené sur le balcon pour l’identifier. J’ai demandé qu’ils appellent les secours. On voyait beaucoup de sang. Le policier a répondu qu’il voulait d’abord savoir son nom. Il m’a fait me rasseoir, a demandé à un autre de se lever, et ainsi de suite.»

Durant cette opération, le SPVM a notamment saisi 237g de marijuana, 2280$ et deux “roches” de crack. «Notre consommation et l’argent des paris», souligne François. Quatorze personnes ont été arrêtées, dont Dany Villanueva, appréhendé à son domicile de Repentigny.

«Je parle pour les autres, ceux qui ont peur»
Libéré sous caution cinq jours après son arrestation, François ne comprend toujours pas l’ampleur des forces déployées. «Je parle pour les autres, ceux qui ont peur. On nous compare à de gros trafiquants. Je rejette ces accusations. J’aimerais que l’opinion, sur nous, change. Pourquoi, avec la mafia, les criminels sortent les mains en avant et nous, on défonce l’appartement? Il n’y avait pas d’armes, pas de kilos de cocaïne. Bony, lui, n’avait rien, mais il est mort… »

Appelé à réagir à ce témoignage, le SPVM a redirigé notre requête vers le service de police responsable de l’enquête, la Sûreté du Québec, qui se refuse à tout commentaire pour le moment.

Confirmation par cinq personnes

Directeur de l’organisme Évolu-Jeunes 19-30, notamment chargé de la réinsertion sociale des jeunes de Montréal-Nord ayant connu des problèmes judiciaires, Frantz Jean-Jacques a interrogé cinq personnes arrêtées durant cette frappe du 31 mars. Tous ont confirmé les propos de François.

«Notre mission, c’est d’être à l’écoute de ces jeunes, de les accompagner, explique-t-il. Je garantis la crédibilité de ces propos. Plusieurs m’ont confirmé ces faits et ils confessent également leurs torts.

C’est également ce qu’ils ont avoué aux enquêteurs de la Sûreté du Québec venus les interroger.»

M. Jean-Jacques avoue être «interpellé» par ces témoignages. «On se pose des questions sur le côté arbitraire de cette intervention, notamment sur le fait de ne pas s’identifier et de tirer des gaz lacrymogènes. Heureusement que les jeunes n’étaient pas armés, car ça aurait pu se gâter.»

L’intervenant social se félicite de cette prise de parole alors que le silence est généralement de mise parmi ces jeunes. «Beaucoup ont peur de parler, ils savent qu’ils manquent de crédibilité et, parfois, s’auto-excluent, raconte-t-il. Ils pensent que personne ne les écoute. Ils ont peut-être des choses à se reprocher, mais je leur conseille de parler et même de porter plainte en cas d’abus des policiers.»

* Le nom du témoin a été modifié pour garantir son anonymat alors que l’enquête est toujours en cours.

Trois dates importantes dans l’affaire Bony Jean-Pierre:

  • 31 mars 2016: opération du Groupe tactique d’intervention rue Arthur-Chevrier. Bony Jean-Pierre est touché par «un projectile d’arme intermédiaire», selon un communiqué du SPVM.
  • 4 avril: six suspects sont remis en liberté. Bony Jean-Pierre meurt.
  • 6 avril: après une marche dans le calme pour dénoncer les circonstances de ce décès, des débordements éclatent. Le PDQ n° 39 est vandalisé, six voitures sont incendiées et des vitrines de commerces sont fracassées.

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