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Journée des femmes: À la recherche de l’égalité tous azimuts

Urban hipster businessman helping woman to climb up a ladder Photo: Getty Images/iStockphoto

L’égalité est toujours au cœur des revendications féministes en cette Journée internationale des femmes. L’égalité entre les femmes et les hommes, bien sûr; mais l’égalité entre les femmes «encore plus», dit Mélanie Sarazin, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ).

Pour le Collectif 8 mars, dont Mme Sarazin est aussi porte-parole, le slogan de la Journée internationale des femmes 2017 – «L’égalité sans limites» – cherche à mettre en lumière le fait que l’égalité est de plus en plus limitée, et ce, en particulier pour certaines femmes.

«Toutes les mesures d’austérité sexistes qui ont été mises en place dans les dernières années nuisent aux femmes, à leurs conditions de vie, et en particulier à celles des femmes « racisées » ou en situation de handicap», avance la présidente de la FFQ. Pour Mme Sarazin, l’égalité entre les hommes et les femmes est importante, certes, mais l’égalité entre les femmes l’est encore plus. «Et l’égalité entre les nations, pour toujours.»

Bien que les luttes féministes soient diverses depuis longtemps, de plus en plus de voix s’élèvent actuellement. Les possibilités offertes par l’internet et les blogues ont offert un moyen rapide et efficace pour la mobilisation, soutient Stéphanie Mayer, doctorante à l’Université Laval et chargée de cours à l’UQAM sur les questions de femmes et de politique. Ces voix variées exposent les conséquences des inégalités pour différents groupes et rendent compte d’expériences vécues par une grande diversité de femmes.

«Travailler avec les femmes autochtones, noires ou musulmanes, ça implique de se déplacer, [comme féministe blanche «classique»], dans notre façon d’interroger le féminisme» – Stéphanie Mayer

Pour illustrer la multiplicité des expériences vécues par différentes femmes, Mme Mayer prend «l’exemple du concept de «justice reproductive», en contraste avec celui de «droit à l’avortement», longtemps mis de l’avant. «C’est insuffisant de parler du droit à l’avortement et de la contraception. Dans la mesure où les femmes autochtones, par exemple, ont été stérilisées de force ou se sont fait enlever leurs enfants par les pensionnats. La justice reproductive, c’est aussi le droit de garder ses enfants, de les élever dans des conditions sécuritaires […]».

Un autre exemple qu’elle soulève est celui du travail rémunéré. «Le mouvement des femmes contemporain a beaucoup insisté sur le droit au travail salarié. [Mais cela] ouvre plein d’autres questions. Quelles femmes ont accès au travail? Dans quelles conditions? Quand certaines femmes se libèrent pour exercer un travail salarié, quelles autres femmes prennent le relais?»

Pour la chargée de cours, il faut penser à ce que les changements réclamés à la société ont comme effets plus larges.

Et des voix quon entend moins
Si certaines voix prennent dorénavant davantage leur place, d’autres se font aussi plus discrètes. Il ne faut pas oublier celle des femmes sans statut, souligne Mélanie Sarazin. «[Elles] n’ont pas accès au système de santé, [leurs] enfants n’ont pas accès à l’éducation. Imaginez. S’élever contre le gouvernement, pour elles, c’est un peu plus difficile.» La présidente de la FFQ mentionne que c’est le rôle des femmes dans une situation privilégiée de leur laisser une place.

Des voix à entendre et du travail à faire

Pour mieux comprendre les réalités vécues par des femmes de divers milieux et origines, et pour pousser plus loin la connaissance de celles-ci, TC Media a discuté avec trois d’entre-elles des enjeux qui les touchent.

Eva Ottawa
Entendre les femmes autochtones

Le sujet de la violence dont sont victimes les femmes autochtones a pris beaucoup de place dans l’espace public récemment. Cet enjeu pourrait bénéficier d’une approche différente de celle de la justice «classique», croit Eva Ottawa, qui a siégé à la présidence du Conseil du statut de la femme pendant 4 mois avant de remettre sa démission en janvier. «On voudrait relancer le dossier d’un système de justice communautaire. Travailler directement avec la victime et avec celui qui a abusé, pour qu’ils déterminent la réparation à faire.»

Selon celle qui a été grande chef de la nation atikamekw, les écarts entre les hommes et les femmes autochtones, au niveau du revenu, de la scolarité et de la représentation en politique ne sont pas très marqués; ce qui différencie la façon de voir les relations entre hommes et femmes pour les autochtones et les non-autochtones. « On fonctionne beaucoup en termes de complémentarité », dit-elle. «Dans les communautés au Québec, il y a même de 40 à 60% de femmes qui siègent dans les conseils de bande. On n’a pas eu besoin de loi pour aller vers ça.»

Il est toutefois nécessaire de documenter davantage le féminisme autochtone, croit Mme Ottawa. Bonne nouvelle à cet égard : le Laboratoire de recherche sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones – Akwatisiw vient de voir le jour à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, dirigé par la professeure Suzy Basile.

Malgré les différences dans les visions et les approches des enjeux qui concernent les femmes autochtones et non autochtones, Mme Ottawa croit qu’il est possible de mener les luttes en solidarité. «Juste la question des agressions, le fait de dénoncer, de soutenir les victimes, ça fait partie des choses qu’on peut travailler ensemble.»

Marie-Pier Boisvert
Entendre les femmes LGBT

«Je ne sais pas s’il y a un féminisme LGBT, on va voir… !», déclare d’emblée Marie-Pier Boisvert, directrice générale du Conseil québécois LGBT. «Mon militantisme est nécessairement féministe, plus que LGBT. Je considère que les revendications féministes, par rapport aux constructions du genre, notamment, et de ce qui nous est imposé quand on est une femme, s’applique tout à fait à ce qui est assigné, imposé aux personnes homosexuelles, bisexuelles et trans.»

Pour Mme Boisvert, admettre qu’il existe plusieurs types de féminisme est un pas dans la bonne direction. «Une personne ne peut pas tout comprendre dans son entièreté, donc on a besoin des autres pour arriver à lutter d’une manière inclusive et percutante.»

Elle souligne, par exemple, que les femmes LGBT ne sont pas sujettes au même type d’oppression que les autres femmes et qu’elles sont souvent réduites à leur sexualité. «On va parfois dire de nous qu’on n’est pas des vraies femmes, qu’on est lesbiennes par dépit. On va être définies comme étant hyper sexualisées et hypersexualisantes, etc.»

Les femmes LGBT vivent une double discrimination, dit Mme Boivert : «On vit les mêmes enjeux de sexisme que les femmes et on vit des enjeux de lesbophobie, de transphobie, de biphobie…» Mme Boisvert avance aussi que les femmes lesbiennes, bisexuelles ou trans vivent du sexisme à l’intérieur même de la communauté LGBT et qu’elles sont «quasi absentes des lieux publics ou des lieux de décision économique». Le fameux «portefeuille rose» est aussi «encore largement détenu par les hommes gais blancs», observe-t-elle.

Parmi les priorités à mettre de l’avant pour le bien-être des femmes LGBT, Mme Boisvert souligne l’enjeu de l’éducation, dès l’enfance, aux différents modèles afin d’éviter les stéréotypes. « Oui, il y a des familles qui ont deux mamans, il y a des enfants qui peuvent se poser des questions sur leur genre, et c’est correct s’il y a des petits garçons qui portent des jupes.»

Agnès Berthelot-Raffard
Entendre les femmes noires

«Les normes du féminisme occidental ne sont pas vraiment adaptées pour comprendre la réalité des femmes noires», affirme Agnès Berthelot-Raffard, professeur adjointe à l’Institut d’études féministes et de genre, de l’Université d’Ottawa. «Le féminisme noir, c’est vraiment un féminisme qui est spécifique, qui défend la revalorisation de la femme noire, la valorisation de ses luttes, de ses résistances.»

La professeure évoque la discrimination que rencontrent les femmes noires dans le milieu du travail et le fait que ces dernières sont plus nombreuses à occuper des positions dans le domaine des services. Au delà de ces difficultés, Mme Berthelot-Raffard pousse la réflexion sur la conception même de la famille. «[Comme dans la théorie queer], il y a une vision de la famille qui ne correspond pas aux normes du féminisme blanc, classique. Étant donné la situation de beaucoup de femmes noires, et la présence importante de foyers monoparentaux, par exemple, une famille sous les normes du patriarcat n’est pas adaptée», avance-t-elle.

C’est seulement depuis peu qu’on entend des voix afro-féministes au Québec, croit Mme Berthelot-Raffard, grâce à l’apport de la jeune génération. L’histoire des luttes des femmes noires, au Québec et au Canada, demeure encore globalement méconnue. «Aujourd’hui, pour lutter contre la discrimination systémique, il faut reconnaître cet héritage et documenter cette mémoire.»

Pour Mme Berthelot-Raffard, le féminisme «mainstream» doit aussi redorer son blason. Le fait qu’on entende davantage différentes voix féministes actuellement est «un effet de mode», selon elle, et il faut faire attention à ce que ces voix ne soient pas récupérées. Mais au lieu de créer des tensions, la professeure soutient «qu’on devrait regarder l’objectif qu’on a [ensemble]: c’est à dire l’élimination [des inégalités et] des violences faites aux femmes».

Crédit photo Mme Berthelot-Raffard: Kevin Calixte

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