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Quand la police tue

Photo: FELIX O.J. FOURNIER/TC Media

Il y a un an, le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) lançait sa première enquête. Simon Simard venait d’être abattu par la police à Jonquière, alors qu’il avait en sa possession une bombe artisanale. En 2016, 12 personnes sont décédées sous les tirs de policiers québécois, un sommet au cours de 15 dernières années. Six autres individus ont été tués depuis le début de 2017. Selon les données colligées par TC Media, nos policiers ne sont pas nécessairement moins prompts à dégainer que leurs homologues américains, ontariens ou britanno-colombiens.

On dénombre 1,47 décès par million d’habitants causé par de les tirs policiers au Québec en 2016. Pour la même période, les provinces où un organisme comme le BEI existe, soit l’Ontario et la Colombie-Britannique, font bien meilleure figure, avec respectivement 0,52 décès par million (7 au total) et 0,86 décès par million (4 au total).

Cette même statistique est plus élevée au Québec que dans cinq États américains: New York, Connecticut, Dakota du Nord, Michigan et New Jersey selon les données du Washington Post (voir outil interactif ci-dessous ou graphique au bas de l’article). La statistique québécoise est comparable à celle de deux États voisins : le New Hampshire (1,51 décès par million, 2 au total) et le Maine (1,5 par million, 2 au total). Précisons que pour l’ensemble des États-Unis, cette statistique oscille autour de 3 décès par million d’habitants. «Je suis surpris que les chiffres soit supérieurs à ceux d’endroits comme New York, où la criminalité est plus élevée, où le nombre d’armes par habitant est bien supérieur et où la dangerosité du métier de policier est plus importante», s’étonne l’ex-policier et auteur d’ouvrages sur la police Stéphane Berthomet.

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M. Berthomet voit ainsi une déconnexion entre ces statistiques et le niveau de danger auquel font face nos policiers. «On peut penser qu’il y a une surévaluation du risque et que les policiers au Québec auraient plus tendance à faire feu dans des circonstances qui ne sont pas celles d’un réel danger, poursuit-il. Dans la formation, la notion du danger est très forte. On leur apprend très tôt que, s’ils sont face à individu qui a couteau à moins de 20 pi, ils sont en danger de mort.»

Depuis 2015, sur les 23 personnes décédées sous les tirs policiers, 14 avaient une arme blanche dans leurs mains et 2 une arme à feu. Aux États-Unis, plus de 50 % des personnes abattues par la police avaient en leur possession une arme à feu. «Même quand la personne est armée, des fois il suffit d’attendre et de trouver un moyen pour qu’elle se calme et ne soit plus dangereuse, juge le professeur agrégé de l’école de criminologie de l’Université de Montréal Massimiliano Mulone. Je ne sais pas à quel point les policiers sont préparés à être patients et à gérer le stress d’avoir quelqu’un avec un couteau dans les mains devant soi.»

Selon les spécialistes, cela montre que le processus d’intervention mis en place pour utiliser le moins possible l’arme de service n’est donc pas plus ou moins efficace qu’ailleurs. M. Berthomet souligne que, dans le cas du décès de Pierre Coriolan, le 27 juin, «on n’a pas attendu plus de quelques minutes avant que l’intervention ne tourne au coup de feu». «C’est compréhensible, qu’il y ait une escalade des moyens, avec Taser et balles de plastique. Mais la question qu’il faut se poser, c’est si au départ on devait engager une intervention dynamique policière ou un dialogue psychosocial. On sait qu’on est dans un immeuble où des gens vivent des cas de détresse psychologique», ajoute-t-il

«Quand les policiers tirent, il n’est pas censé y avoir d’autre solution. Ils ne tirent pas pour blesser ou pour tuer. C’est toujours un tir potentiellement mortel, car il est toujours fait dans le tronc, où on a le plus de chances de toucher l’individu.» –Stéphane Berthomet, ex-policier et auteur d’ouvrages sur la police

Les résultats du BEI
Massimiliano Mulone croit que le fait d’avoir un processus d’enquête indépendant sur les écarts policiers n’aura pas d’effet sur l’utilisation de l’arme de service. «L’Unité des enquêtes spéciales (UES), en Ontario, ça fait plus de 25  ans qu’ils sont là. Est-ce qu’ils ont eu un effet là-dessus? Je ne pense pas, car ce sont des événements tellement rares», dit-il. Le but d’un tel organe est surtout de s’assurer que l’enquête soit impartiale et menée avec soin, pour ne pas perdre la confiance du public. «Ça pourrait améliorer d’autres comportements, comme des accidents pendant la conduite rapide d’un véhicule, mais même la déontologie n’a pas beaucoup d’effet, car la plupart des policiers qui font l’objet des plaintes ne se perçoivent pas comme fautifs.»

De son côté, M. Berthomet croit que les enquêtes indépendantes de l’UES et les rapports de l’ombudsman de l’Ontario ont créé un sentiment de responsabilité plus important. «Au Québec, les policiers ne sont pas assez responsabilisés au fait que l’usage de l’arme a des conséquences extrêmement lourdes», soutient-il. Stéphane Berthomet cite le cas des décès du sans-abri en détresse Mario Hamel et de Patrick Limoges, tué par une balle perdue dans la même intervention. «On a tué un citoyen avec un tir accidentel et il n’y a pas eu d’accusations de déposées, rappelle-t-il. Le message que ça envoie aux policiers c’est que même si vous tuez un citoyen innocent qui n’est pas armé vous ne serez pas inquiété.»

En Ontario, le cas de Sammy Yatim, tué de huit balles dans un tramway alors qu’il menaçait des passagers avec un couteau, a suscité une «volonté réelle de changer les méthodes, juge M. Berthomet. Jusqu’à aujourd’hui, aucun cas au Québec n’a conduit à une véritable volonté de réformer le système d’intervention dans les cas de troubles mentaux.

Les limites de ces chiffres

Massimiliano Mulone rappelle toutefois qu’il est difficile de tirer des constats à partir d’un aussi petit échantillon. «Un ou deux décès de plus font une énorme différence, souligne-t-il. Pour bien comparer avec les États-Unis, je crois qu’il faudrait analyser sur un temps plus long.» Par exemple, en 2015, cinq décès sont survenus au Québec, soit 0,61 par million d’habitants, ce qui place la province derrière tous les États et provinces mentionnés plus haut à l’exception du Connecticut (0,6 décès par million) et de l’Ontario (0,52 décès par million). Et si on prend les données des six premiers mois de 2017, le classement des divers endroits varie encore. New York (0,35 décès par million, 7 au total) a actuellement un plus faible taux que le Québec (0,74 décès par million, 6 au total), tandis que le Maine, avec 8 cas déjà depuis le début de l’année, monte à 6 décès par million d’habitants.

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Note: Nous avons inclus le cas de Bony Jean-Pierre dans notre analyse. Celui-ci a été atteint par une balle de plastique à la tête le 31 mars 2016 et est décédé quelques jours plus tard.

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