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Paradis fiscaux: «On ne se rend pas au bordel pour y lire la Bible»

Photo: Faustine Lefranc

La nouvelle fuite de documents secrets liés aux paradis fiscaux touche cinq fois plus de Canadiens que les Panama Papers. Près de 2700 Canadiens, 560 compagnies, 14 fiducies et deux fondations y figurent, a noté Radio-Canada qui a contribué à analyser les milliers de documents ayant fuité du cabinet d’avocats Appleby. Métro s’est entretenu avec l’auteur Alain Deneault, qui a écrit plusieurs livres sur la question et qui montre à quel point cette nouvelle fuite illustre le manque de volonté des gouvernements.

Que nous apprend cette nouvelle fuite?
Elle confirme le recours quasi systématique aux paradis fiscaux par les multinationales et montre comment plusieurs chefs d’État, ou l’entourage proche auquel ils doivent leur présence au pouvoir, y ont eux-mêmes des actifs. Cela explique pourquoi les États ne font rien pour que la situation change. Le cas de Léo Kolber est particulièrement éloquent. Il a contribué à organiser les campagnes de financement du Parti libéral du Canada, il a conseillé le parti en matière de fiscalité, puis il a siégé à une commission sur la fiscalité en tant que sénateur; le tout tandis qu’il gérait une fiducie dans un paradis fiscal [des Antilles britanniques]. Comment aussi attendre de l’État qu’il fasse la lutte aux paradis fiscaux, alors qu’il a confié cette tâche à Bill Morneau, un ministre des Finances qui a des intérêts dans une firme de gestion d’actifs de Toronto disposant de structures dans les paradis fiscaux?

L’homme d’affaires Stephen Bronfman, lui aussi éclaboussé, clame ne pas avoir géré illégalement des capitaux canadiens dans les paradis fiscaux
Le problème avec les paradis fiscaux, c’est leur opacité: on ne peut à peu près rien vérifier et on est donc tenu de croire sur parole ceux qui en profitent. Mais pourquoi délocalise-t-on et inscrit-on des actifs dans les paradis fiscaux? Je le redis ici: on ne se rend pas au bordel pour y lire la Bible. Si les entreprises et les détenteurs d’actifs qui transfèrent des fonds dans les paradis fiscaux bénéficient de failles, c’est bien parce que les dirigeants veillent au maintien des échappatoires prévues par la loi. Si ce n’est pas illégal, la question qui se pose reste de savoir pourquoi ce qui contrevient à l’esprit de la loi s’est trouvé légalisé? Pourquoi est-il si facile pour une société créée au Canada de transférer certains bénéfices à une filiale de la Barbade, où le taux d’imposition est absolument dérisoire, pour rapatrier ensuite les fonds au Canada en franchise d’impôts? Aujourd’hui, parmi les dix pays étrangers dans lesquels les entreprises canadiennes investissent le plus, il y a six paradis fiscaux, ce qui représente un total de 260G$.

Est-ce que ça change depuis les premières fuites massives de documents en 2013?
Les Paradise Papers constituent une énième fuite majeure de documents qui nous informent à chaque fois des liens gênants qui prévalent entre les dirigeants politiques et le milieu des affaires, à travers des intérêts conjoints dans les paradis fiscaux. On comprend aisément pourquoi ceux-ci verrouillent l’appareil d’État pour qu’à peu près rien ne change. Or, le changement requiert d’être radical. Par exemple, sur le plan de la fiscalité, Starbucks pourrait être taxé au Canada sur la base du revenu consolidé de la multinationale, au prorata des actifs que génère sa présence chez nous, indépendamment de l’endroit où ont été déplacés les fonds. Les pays pourraient voter ces lois et en suspendre l’application jusqu’au jour où ils seraient suffisamment nombreux à être allé en ce sens.

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