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La génétique permettrait de choisir l’ADN du bébé

The Associated Press Photo:

NEW YORK — Vous avez donc décidé d’avoir un bébé.

Aimeriez-vous une belle fille aux cheveux foncés qui a un risque élevé de souffrir du cancer du côlon un jour, mais qui pourrait aussi avoir des habiletés musicales supérieures à la moyenne?

Ou bien préféreriez-vous un petit génie athlétique, mais dont le risque d’être bipolaire ou de souffrir du lupus sera plus élevé que les autres?

Ou encore un petit garçon qui devrait être un musicien accompli et ne pas souffrir d’asthme, mais qui sera prédisposé aux cataractes et au diabète de type 2?

Confus? Vous n’avez encore rien vu. Il y a des dizaines de permutations possibles qui influenceront lequel de vos embryons sera implanté dans l’utérus pour devenir un être humain.

C’est l’avenir qu’entrevoit d’ici 20 ou 40 ans un expert en bioéthique médicale — un avenir si rapproché que les enfants d’aujourd’hui pourraient être confrontés à ces choix quand viendra leur tour de se reproduire.

«La majorité des bébés des gens qui auront de bonnes assurances maladie seront conçus de cette manière», prédit Henry Greely, qui enseigne le droit à l’Université Stanford, en Californie.

Vous avez probablement déjà entendu parler de ces «bébés sur mesure» dont l’ADN a été façonné pour leur conférer certaines caractéristiques. M. Greely s’intéresse à quelque chose de complètement différent: des chercheurs ont été en mesure, chez des souris, de transformer de simples cellules en sperme et en ovules.

Il est encore trop tôt pour dire s’ils pourront faire de même chez l’humain, mais si c’est le cas, la médecine disposerait alors d’un nouveau traitement puissant contre l’infertilité, ouvrant les portes de la «parentalité génétique» aux couples infertiles.

Cela voudrait aussi dire qu’une femme qui veut avoir un enfant pourrait produire des dizaines d’ovules de plus pour chaque tentative, comparativement aux procédures actuelles qui prélèvent les ovules dans ses ovaires.

Et cette perspective multiplie les options.

Une variété d’embryons

Voici ce qu’imagine M. Greely.

Un homme et une femme entrent dans une clinique de fertilité. L’homme fait un dépôt de sperme. La femme laisse des cellules de peau, qui sont ensuite transformées en ovules et fertilisées avec le sperme de l’homme.

Contrairement à la fertilisation in vitro actuelle, qui génère en moyenne huit ovules par essai, la nouvelle méthode pourrait produire 100 embryons par tentative.

Le code génétique complet de chaque embryon serait ensuite analysé, à la recherche aussi bien de maladies que de traits caractéristiques. Le couple recevrait le dossier de tous les embryons viables.

Des quelque 80 embryons qui lui auraient été présentés, le couple en choisirait ensuite un ou deux à implanter.

Mais ce n’est pas la fin des possibilités. La technologie pourrait permettre aux couples de même sexe d’avoir un enfant qui serait génétiquement apparenté aux deux partenaires, même si la production d’ovules à partir de cellules d’hommes ou de sperme à partir de cellules de femmes représente un obstacle biologique énorme.

Pire encore, il y a le «scénario Brad Pitt»: nous perdons tous un peu d’ADN chaque jour, par exemple sur le rebord d’une tasse de café. On craint que ce matériel génétique ne soit récolté en douce pour transformer une vedette en parent génétique contre son gré.

Tout ça est encore très futuriste, mais l’humanité se dirige lentement dans cette direction. Des scientifiques essaient actuellement de transformer des cellules en sperme ou en ovules en laboratoire. Ils utilisent ce qu’on appelle des «cellules iPS», soit des cellules tout à fait normales qui ont été rendues plus malléables.

Amander Clark, de l’Université de la Californie à Los Angeles, indique que son objectif est de contribuer à la recherche fondamentale sur l’infertilité. Elle reconnaît que la technique pourrait éventuellement servir à résoudre le problème, surtout chez les jeunes rendus infertiles par des traitements contre le cancer.

Des cliniques de fertilité offriraient déjà de décoder le génome d’un embryon. La présidente du Collège américain de génétique médicale et de génomique, la docteure Louanne Hudgins, souligne toutefois que la pratique n’est appuyée par aucune association médicale nationale; elle doute aussi que les assureurs accepteraient d’en rembourser le coût.

Diagnostics prénataux faciles

M. Greely, qui présente sa vision dans le livre «The End of Sex and the Future of Human Reproduction», évoque un diagnostic génétique prénatal.

Une telle analyse est déjà offerte aux parents dont le bébé risque de souffrir d’un problème génétique, comme la fibrose kystique ou l’anémie falciforme. On prélève alors certains ovules de la femme et, après la fertilisation, le génome des embryons est analysé pour identifier ceux qui ne sont pas porteurs de l’anomalie.

Cette procédure analyse une poignée d’embryons à la recherche d’un problème spécifique, et non pas le génome entier de dizaines d’embryons. Quand un couple veut choisir un «super bébé», dit le docteur Richard Scott fils, fondateur d’une association de médecins spécialisés en reproduction au New Jersey, «nous leur répondons que ce n’est pas possible».

Dans les faits, affirment le docteur Scott et d’autres, même l’analyse la plus large ne permettrait pas de déterminer avec précision le développement d’un enfant.

Si l’ADN est la quincaillerie, il y a aussi le logiciel: les modifications chimiques qui déterminent quand un gène est allumé ou éteint. Cet «épigénome» surviendrait principalement après l’analyse du génome de l’enfant, souligne le docteur Scott.

«Votre enfant ne sera peut-être pas la vedette de trois sports à l’université parce que l’épigénome n’aura pas été au rendez-vous», explique-t-il.

M. Greely admet que les prédictions concernant des traits comme l’intelligence et les habiletés athlétiques seront imprécises, en raison de l’épigénétique et de l’incertitude qui persiste concernant le rôle des gènes et leurs interactions. L’éducation de l’enfant et ses expériences pourront aussi y être pour quelque chose.

Que feraient les couples?

Même si les prédictions ne sont pas parfaites, les couples voudraient-ils vraiment contrôler la génétique de leur enfant? Plusieurs experts en doutent.

Seule une «minorité très petite» recherche un bébé parfait, affirme la docteure Hudgins. Plusieurs de ses patientes refusent toutes les analyses parce que, disent-elles, le sort du bébé est «entre les mains de Dieu».

Le docteur James Grifo, du Centre de fertilité de l’Université de New York, doute lui aussi de la popularité de la chose.

«Aucun patient ne m’a jamais demandé un bébé sur mesure», affirme le docteur Grifo, qui pratique la fertilisation in vitro depuis 1988.

Même M. Greely croit que les parents ne souhaiteraient pas manipuler les aptitudes intellectuelles ou athlétiques de leur enfant. En revanche, la possibilité d’éviter les maladies graves qui se manifestent durant l’enfance serait beaucoup plus attrayante. Ils se préoccuperaient probablement moins des maladies, comme l’alzheimer et le parkinson, qui surviennent plus tard, dans l’espoir que la médecine aura suffisamment progressé pour les soigner à ce moment.

Le diagnostic génétique prénatal s’en vient, croit-il, alors aussi bien l’encadrer correctement, notamment pour garantir que les parents auront le choix de l’utiliser ou non et pour déterminer quelles caractéristiques génétiques seront étudiées. Il souhaite également qu’on rende illégal le vol d’ADN pour recruter un parent à son insu.

D’autres voient des pièges

Une fois le profil génétique dessiné, cela pourrait-il revenir hanter un enfant au cours de sa vie, par exemple si un assureur ou une résidence pour aînés demandaient une analyse des facteurs de risque? Que ferait-on du nombre élevé d’embryons rejetés?

Des règles pourraient être adoptées pour freiner le nombre d’embryons créés ou encore pour circonscrire les caractéristiques qu’un couple peut choisir, selon I. Glenn Cohen, de l’Université Harvard.

Lori B. Andrews, de la faculté de droit de l’Université Chicago-Kent, a résumé sa pensée dans une critique du livre de M. Greely.

«L’éventualité d’un diagnostic génétique prénatal devrait nous rendre très inconfortables», a-t-elle écrit.

Même ceux qui doutent que cela devienne un jour possible croient que M. Greely a raison de lancer le débat.

«C’est certainement une chose que nous devons prendre sérieusement et à laquelle nous devons réfléchir soigneusement, estime Marcy Darnovsky, qui dirige le Centre pour la génétique et la société de Berkeley, en Californie. Ce n’est pas seulement une question technique ou scientifique.»

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