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L’homme et la machine

Old vintage metal printing press letters in a drawer Photo: Getty Images/iStockphoto

Mon père était typographe et travaillait sur une linotype. Jour après jour, pendant 45 ans, il s’est assis à sa machine pour recopier des textes destinés à être imprimés. On disait qu’il était bon dans sa job. Sauf que sa job, elle, n’était pas nécessairement aussi bonne pour lui.

Maintenant, sur nos ordis, nous sommes tous plus ou moins devenus des typographes. Dès qu’on tape un texte, qu’on en change la police, le format, qu’on met une ligne en bold ou en italique, on fait exactement ce que mon père faisait jadis. Sauf que lui, pour procéder à ces changements, il devait se lever de son banc et changer les caractères en glissant à bout de bras un magasin rempli de matrices qui pouvait peser quelques dizaines de livres. Autres temps, autre monde, disent-ils…

Les textes que mon père retapait étaient moulés sur des barres de plomb en fusion. Ce qui veut dire que pendant 45 ans, mon Claude a inhalé des vapeurs toxiques qui émanaient du caquelon de sa machine. Pour vous donner une idée, ce récipient sans couvercle était situé à plus ou moins deux pieds de son visage. En 2018, la CSST fermerait la shop en moins de deux et l’inventeur de cet engin infernal serait emprisonné sur-le-champ.

Parfois, quand sa machine au tempérament imprévisible se fâchait, mon père recevait des crachats de plomb brûlant en pleine figure ou sur ses avant-bras. Je ne compte pas le nombre de chemises qu’il pouvait scrapper dans une année. Une fois, il est revenu à la maison avec une chaussette et un soulier qui avaient littéralement été soudés à sa peau par un jet de lave. Je vous laisse le soin d’imaginer ce qui s’est passé quand il a dû arracher ça d’un coup sec… Et pourtant, le lendemain et le surlendemain, il est allé se rasseoir devant la même machine pour répéter la même gestuelle tout en espérant que sa maudite machine soit de meilleure humeur. Mon père avait sept enfants et sa femme à faire vivre: il était donc hors de question pour lui de ne pas aller se taper ses deux shifts quotidiens.
Le cas de mon père n’était pas exceptionnel: ils furent plusieurs ouvriers de son époque à vivre la même chose. C’était au temps où jamais on n’aurait pu imaginer qu’on pouvait «se réaliser» grâce à son travail. La job – ta job – te permettait de mettre du pain sur la table et de payer ton loyer. Pis une couple de bières s’il te restait une poignée de «change» dans le fond de ta poche à la fin de la semaine.

Aujourd’hui, 1er mai, fête des Travailleurs, je pense à mon père et aux gars de sa shop. Ainsi qu’aux gars de la Canadian Vickers, de la Noranda Copper et de l’Atlas Asbestos, de grosses compagnies qui donnaient du travail à plein d’ouvriers de l’est de Montréal en échange de leur vie.

Aujourd’hui, par devoir de mémoire, je ne pouvais pas vous raconter une autre histoire que celle de mon père, décédé à l’âge de 62 ans, malade et usé à la corde.

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Écouté: Last Man Standing, le plus récent album de Willie Nelson. En trois mots: touchant, brillant, superbe. Et indigné, comme il se doit. Du grand Willie. Ah! oui, j’allais oublier: l’homme vient de célébrer ses 85 ans et semble avoir plus d’énergie et de sens critique que ceux qui ont à peine le tiers de son âge. Inspirant.

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À propos d’âge vénérable, depuis quelques semaines, je vois Petula Clark donner des entrevues un peu partout pour faire la promotion de son nouvel album, Vu d’ici. Elle aussi est âgée de 85 ans, elle aussi semble avoir bu une potion d’éternité et elle aussi est totalement inspirante. Bien hâte de la voir la semaine prochaine sur la scène du théâtre Maisonneuve de la PdA. On l’accueillera avec les honneurs qui lui sont dus, promis.

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Vous pensiez que Philippe Couillard avait atteint un sommet d’absurdité en qualifiant la CAQ de parti d’extrême droite? Vous auriez dû entendre Yolande James définir le concept de la droite et de la gauche en politique au Club des ex la semaine passée. Oh boy! Même muni d’une boussole, je ne suis pas sûr qu’un scout aurait pu s’y retrouver…

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Question du jour: à qui attribuez-vous la phrase «Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de dire: à la prochaine fois… »

a) René Lévesque

b) Martine Ouellet

c) Toutes ces réponses sont bonnes.

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