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Visiter le Canada, une mission impossible pour de nombreux Vénézuéliens

The national flag of Canada. Photo: Getty Images/iStockphoto

À Montréal, la communauté vénézuélienne se plaint de ne plus pouvoir accueillir ses proches, en raison du haut taux de refus des demandes de visa visiteur. Si la situation économique et politique du pays est mise en cause, plusieurs Vénézuéliens dénoncent une injustice aggravée par le discours accueillant du Canada.

Nini Johanna Fuentes, une Vénézuélienne qui a obtenu la résidence permanente au Canada, n’a pas vu sa sœur depuis quatre ans. En mars dernier, elle devait l’accueillir pour fêter son anniversaire et lui faire découvrir son pays d’adoption. Pour cela, elle n’avait besoin que d’un visa visiteur. Une formalité administrative pour de nombreux touristes, mais une barrière parfois infranchissable pour d’autres, comme ceux provenant d’Amérique du Sud ou d’Afrique qui souhaitent se rendre en Amérique du Nord.

Une chance pour sa sœur, Mme Fuentes est justement consultante en immigration. Elle aide ses clients à réaliser les démarches administratives afin d’obtenir un visa pour séjourner au Canada.

Dûment remplie, la demande de visa de la sœur de Mme Fuentes a été envoyée au bureau des visas du Canada au Mexique, là où sont traitées les demandes des ressortissants d’Amérique du Sud. À peine 48 heures plus tard, la décision a été rendue: la demande a été refusée.

«Personnellement, en tant que consultante en immigration, j’ai préparé le dossier de ma soeur. Le seul motif de refus que l’agent a marqué, c’est la raison de la visite. Je ne sais pas pourquoi, mais dans la lettre, c’était bien indiqué combien de jours elle venait, qu’elle était en vacances, que ça fait longtemps qu’on ne se voyait pas. La raison de la visite est très claire», défend Nini Johanna Fuentes.

«Pour chaque dossier, l’agent a l’obligation de regarder tous les critères établis dans la loi. Dans le dossier de Mme Fuentes, il évident que cette étude-là n’a pas été faite, vue la rapidité de réponse», avance l’avocate de Mme Fuentes, Me Fanny Cumplido.

Dans les explications de sa décision, l’agent qui a étudié sa demande précise ne pas avoir été convaincu des raisons de son voyage, ce qui fait que le visa a été refusé.

Pourtant, dans les notes de l’agent d’immigration, que Métro a pu consulter, le motif de refus est différent. L’agent n’a pas accordé de visa à Mme Fuentes à cause de la situation politique et économique du Venezuela. «Étant donné la situation actuelle au Venezuela, je ne suis pas certain que le voyage soit temporaire et que l’appliquant quitte le Canada après la période autorisée», peut-on lire dans ce document.

La soeur de Nini Johanna Fuentes est loin d’être la seule Vénézuélienne à avoir vu sa demande de visa être refusée. Selon les chiffres fournis par le ministère fédérale de l’Immigration et de la Citoyenneté, le Venezuela est l’un des pays pour lesquels il y a le plus de refus pour les demandes de visa visiteur, comparativement à des pays d’Amérique latine qui font l’objet d’exigences similaires, comme l’Argentine ou la Colombie.

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De septembre 2017 à février 2018, sur 4 687 demandes de visa visiteur déposées par des Vénézuéliens à Immigration Canada, 2 771 ont été refusées, ce qui fait que le taux de refus s’élève à 59,12%. Pour la Colombie, le taux de refus se situe à 19,35%, et pour l’Argentine, à 2,57%.

Le Venezuela étant plongé dans une crise économique et politique majeure depuis la mort du président Hugo Chávez, en 2013, de violentes manifestations ébranlent le pays depuis 2016. Le ministère de l’Immigration et de la Citoyenneté a donc soupçonné Mme Fuentes de vouloir demander l’asile une fois au Canada et ne plus rentrer au Venezuela, croit Me Cumplido. Pourtant, en 2017, 1 321 Colombiens ont demandé l’asile, contre 1 240 Vénézuéliens. 510 Colombiens ont été acceptés comme réfugiés au Canada, tout comme 393 Vénézuéliens, selon les données de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Pourtant, le taux d’acceptation de visa visiteur est trois fois plus élevé pour les Colombiens que pour les Vénézuéliens.

«Les demandes du monde entier sont examinées de façon uniforme et en fonction des mêmes critères. Le Canada ne limite pas le nombre de demandes de VRT [visa de résident temporaire] qui sont acceptées, quel que soit le pays. Les agents des visas examinent de nombreux facteurs pour déterminer si le demandeur est un résident temporaire authentique. Ils tiennent compte de l’objectif de la visite ainsi que des liens qu’a le demandeur avec pays d’origine, notamment sa situation familiale et économique», défend de son côté de ministère de l’Immigration.

Mme Fuentes ne devait venir que 15 jours au Canada et repartir chez elle au Venezuela, où l’attendent son mari, son fils et son travail. Bref, toute sa vie. Toutes ces informations étaient mentionnées dans la demande de visa. Pour son avocate, son dossier était «solide».

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S’il est normal pour les résidants des pays qui nécessitent un visa visiteur de se soumettre à des critères de sélection pour venir au Canada, Mme Fuentes et son avocate dénoncent de fausses promesses du Canada, qui encouragerait les étrangers à y séjourner, tout en refusant systématiquement une partie d’entre eux, comme les Vénézuéliens, de peur qu’ils ne demandent l’asile.

«Ce visa n’est pas qu’une simple formalité, explique pour sa part l’avocat spécialisé en droit de l’immigration, Éric Taillefer. Il faut partir du principe que s’il existe une demande de visa pour un pays, c’est qu’en théorie, on a une crainte qu’un ressortissant de ce pays ne respecte pas son obligation en tant que touriste, qui est de quitter le pays à la fin de son visa.»

«Je connais des gens qui ont été refusés. Ce sont des gens qui ont montré qu’ils ont de la famille au Canada et des ressources financières pour venir visiter. Ils ont un emploi au Venezuela et des enfants là-bas, mais malgré tout ça, de façon systématique, on est presque en train de refuser tout le monde», réplique Me Cumplido. Cette dernière croit que le cas du Venezuela semble davantage lié à des présomptions qu’à des dossiers incomplets.

«Je comprends que la situation du Venezuela est difficile, mais pour la plupart des personnes qui sont des visiteurs, peu importe le pays, c’est dur d’obtenir un visa, pas juste le Venezuela», avance M.Taillefer.

«Il n’y a pas de règlement spécial dans la loi pour le Venezuela. Oui, le visa de tourisme est un privilège et non un droit, mais tous les pays doivent être égaux», plaide Fanny Cumplido.

Face aux refus des autorités, Mme Fuentes et son avocate ont décidé de contester la décision du ministère de l’Immigration en portant la cause en appel à la Cour fédérale. Résultat: elles ont reçu une lettre du ministère de la Justice leur proposant d’abandonner leur poursuite contre la possibilité d’une nouvelle étude du dossier de Mme Fuentes.

Mme Fuentes a finalement accepté la proposition du ministère de la Justice. Son dossier sera réévalué. Elle attend toujours une réponse.

Pour Me Cumplido, si le dossier avait été accepté à la Cour fédérale, cela aurait créé une jurisprudence et facilité l’octroi de visa touristique aux Vénézuéliens.

«À partir de là, il y aurait eu une position claire de la Cour fédérale pour dire que les visas touristiques seront plus simples à obtenir», avance l’avocate, qui pense que cette décision aurait pu créer un effet d’entraînement parmi les visiteurs vénézuéliens.

Mme Cumplido est consciente de la possibilité que les Vénézuéliens demandent l’asile s’ils se retrouvent au Canada en tant que touriste. Elle aimerait que le ministère de l’Immigration affiche clairement ses couleurs, plutôt que de faire miroiter la possibilité d’obtenir un visa aux Vénézuéliens. «Les démarches sont coûteuses, avance l’avocate, et elles créent de l’espoir chez beaucoup de gens.» Elle dénonce aussi du doigt le double discours du premier ministre, Justin Trudeau, qui invitait il y a un an ceux qui fuyaient les «persécutions, la terreur et la guerre» à venir au Canada, alors que le système d’immigration est l’un des plus stricts au monde.

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