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Une réfugiée afghane se bat pour les femmes

Photo: DARRYL DYCK / THE CANADIAN PRESS

VANCOUVER — Lorsque Shakila Zareen a vu son reflet dans le miroir pour la première fois après avoir été blessée au visage, elle ne s’est pas reconnue.

Une balle de fusil, qui aurait été tirée par son mari, lui a détruit l’os de la pommette, a fait s’effondrer l’orbite de son oeil et a arraché la moitié de son nez.

«J’ai réalisé que je n’étais plus la personne que j’étais et j’ai eu très peur. J’ai pleuré et pleuré, me demandant comment tout cela avait pu m’arriver», confie-t-elle en dari (persan afghan) par l’entremise d’un interprète.

Mme Zareen est arrivée au Canada en janvier en provenance de l’Afghanistan avec un statut de réfugiée et elle a accepté de partager son histoire dans l’appartement qu’elle habite avec sa mère et sa soeur à Vancouver.

Elle est assise sur un divan dans le logement peu meublé et sans décoration où les rayons du soleil réchauffent le salon. Au moment de son arrivée au Canada, la famille a apporté avec elle très peu d’objets personnels à l’exception de quelques photographies, dont une qui rappelle à Shakila Zareen de quoi avait l’air son visage avant la tragique agression.

Aujourd’hui âgée de 23 ans, la jeune femme veut raconter son histoire dans le but de donner la force aux femmes de se battre pour leurs droits et d’attirer l’attention des Canadiens sur ce que vivent les femmes dans d’autres pays.

La militante a récemment rencontré le premier ministre Justin Trudeau et elle souhaite continuer à réclamer le maintien de pressions diplomatiques en vue de réduire la violence contre les femmes et d’améliorer leur accès à l’éducation partout dans le monde.

«C’est mon rêve d’être la voix des femmes. C’est mon rêve de travailler du mieux que je peux pour aider les femmes à avoir accès à l’éducation, de les informer pour qu’elles comprennent qu’elles ont des droits et qu’elles peuvent se battre pour leurs droits», soutient-elle.

Mme Zareen dit qu’elle avait 17 ans lorsque son beau-frère s’est présenté chez elle avec des hommes armés pour la forcer à épouser un homme de 14 ans son aîné. Un individu qui avait l’air dangereux, selon ses dires, et qui travaillait pour les talibans.

«La toute première nuit, il m’a violée très violemment. Par la suite, il a commencé à me battre. Il me frappait tout le temps. Il me disait: « T’es une fille de la ville, tu dois apprendre ta leçon. » J’étais une fille frêle, mais la seule chose à laquelle je pensais, c’était que je ne devais pas abandonner, que je devais me battre pour mes droits», révèle la jeune femme déterminée.

Shakila Zareen a commencé à parler avec d’autres filles et d’autres femmes au sujet de leurs droits, affirme-t-elle. Elle leur a dit qu’elles ne méritaient pas d’être victimes de violence, qu’elles avaient le droit de vivre et de décider de leur propre avenir.

Une démarche d’émancipation qui a rendu son mari encore plus furieux et plus violent, décrit-elle. Après un incident particulièrement grave, elle s’est rendue au poste de police de Mazar-i-Sharif pour le dénoncer.

«J’espérais tellement obtenir leur aide, mais ils ont simplement ri de moi. Ils ont dit: « Il est ton mari, il peut te frapper. » Là, j’ai perdu tout espoir.»

Lorsqu’elle est rentrée chez elle, ce soir-là, sa mère priait et sa soeur se trouvait dans la cuisine. Elle a entendu du bruit et réalisé que son beau-frère, son mari et plusieurs autres hommes venaient d’entrer dans la maison. Elle a essayé de fuir et, en regardant derrière, elle a vu le fusil. Puis, plus rien.

Elle ne se souvient que de s’être retrouvée dans un état confus semblable à un rêve, où elle était en douleur et appelait sa mère à l’aide. Elle a été transportée à l’hôpital à Mazar-i-Sharif, avant d’être transférée aux urgences de Kaboul, où elle s’est réveillée. Elle a touché son visage et senti les pansements.

«J’ai soudainement réalisé ce qui s’était produit, que quelque chose m’était arrivé. J’étais tellement désespérée. Je voulais raconter ce qui m’était arrivé, mais je ne pouvais pas parler», témoigne Mme Zareen. Alors, elle a écrit ce qu’elle voulait dire: qu’elle était une victime de violence conjugale.

La jeune militante dit avoir des dossiers médicaux et judiciaires en Afghanistan, mais qu’elle ne les a pas apportés au Canada.

Dans une entrevue accordée au journal britannique «The Guardian», le beau-frère de Shakila Zareen a nié toute l’histoire et prétendu que la jeune femme s’était elle-même blessée au visage.

Mme Zareen assure qu’elle n’a jamais envisagé de garder le silence, car elle sait que d’autres femmes sont toujours en danger.

Selon l’Organisation des Nations unies, la violence envers les femmes est un problème généralisé en Afghanistan. Une réalité qui découle de pratiques culturelles et d’inégalités complexes qui, lorsque combinées à la pauvreté et au manque de sensibilisation, empêchent les femmes d’agir et d’obtenir de l’aide.

D’après des études citées par l’ONU, 87 pour cent des femmes afghanes ont été victimes d’au moins une forme de violence physique, psychologique ou sexuelle et 62 pour cent des femmes ont vécu plusieurs formes de violence.

Shakila Zareen dit connaître des femmes qui ont eu une oreille, les lèvres ou la gorge tranchée par un mari en colère et bien souvent, en toute impunité.

«C’est pour ça que je veux en parler. La loi ne protège pas les femmes et je veux me battre pour ça», insiste-t-elle.

Après avoir été défigurée, elle a été accueillie en Inde, où elle a subi neuf chirurgies de reconstruction faciale. On l’a ensuite informée qu’elle avait obtenu un statut de réfugié des Nations unies et que les États-Unis avaient accepté sa demande sous conditions.

Toutefois, après l’élection du président Donald Trump, l’approbation de son dossier a été révoquée. La lettre citait des «enjeux de sécurité» qu’elle présume liés à la proximité de son mari avec les talibans.

«Oui, peut-être que mon mari a travaillé avec les talibans, mais ça veut dire qu’il était une mauvaise personne, une personne violente. Je suis la victime, je suis celle qui a perdu son oeil, ses lèvres, son nez, son ouïe, des os de mon visage, énumère-t-elle. Qu’est-ce que j’ai fait de mal?»

Une porte-parole du service américain de citoyenneté et d’immigration a refusé de commenter le dossier sous prétexte de confidentialité.

Ce rejet a creusé encore plus profondément le désespoir de Mme Zareen, jusqu’à ce qu’on l’informe que le Canada avait accepté de l’accueillir.

Depuis son arrivée au pays, elle affirme se sentir en sécurité. Pour la toute première fois, elle est à l’aise d’enlever ses bandages en public.

Maintenant, elle affirme être enfin libre d’accomplir ce qu’elle a toujours désiré: étudier. Elle passe d’ailleurs la majorité de ses temps libres à apprendre l’anglais afin d’avoir une voix encore plus forte pour défendre les femmes.

«Je vais à l’école, j’ai l’espoir qu’un jour je serai quelqu’un et je sais que je vais y arriver», promet-elle.

Désormais, lorsqu’elle regarde son reflet dans le miroir, elle sait très bien qui elle est.

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