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Alcool et cannabis, mêmes combats?

Photo: Pablo A. Ortiz/Métro

Il y a 100 ans, le Canada prenait le chemin de la prohibition de l’alcool avant de se raviser quelques années plus tard. Sachant que l’Histoire a tendance à se répéter, y a-t-il des leçons à en tirer pour la légalisation du cannabis qui sera effective le 17 octobre, dans près d’un mois? Un historien, spécialiste de la prohibition et un militant du pot se prononcent.

Histoire
Contrairement aux États-Unis, où elle aura duré 13 ans, la prohibition de l’alcool aura été relativement courte au Canada: à peine quelques mois au Québec (sauf pour les spiritueux) et huit ans en Ontario. «Elle n’aura aussi été que partielle, souligne le doctorant en histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières Mathieu Perron, puisqu’au Canada, on a interdit la vente, mais pas la production.» Cela eut comme conséquence de faire du Québec (et de Montréal en particulier) une plaque tournante de la contrebande et de la consommation, car pendant plusieurs années, ce fut l’un des seuls endroits en Amérique du Nord où l’on pouvait consommer de l’alcool dans les bars. Cet assouplissement a aussi favorisé à l’époque la création de grands consortiums, tels que Seagram (famille Bronfman) et Molson. «Aujourd’hui encore, par le biais de la réglementation fédérale, le gouvernement est en train de favoriser la création d’un oligopole avec le pot, puisque deux grands joueurs, Canopy Growth et Aurora, qui ont déjà racheté plein de petits producteurs autorisés, dominent largement le marché et doivent fournir des dividendes à leurs actionnaires, étant cotés en Bourse», déplore le fondateur du Bloc Pot, Hugô St-Onge. Actuellement, la capitalisation boursière des deux entreprises est évaluée à 24G$.

Intégration
Quand un brasseur comme Sleeman se vante aujourd’hui, dans une publicité, d’avoir été très actif en matière de contrebande durant les années 1920, il illustre le fait que la fin de la prohibition de l’alcool s’est faite en tentant de régulariser ceux qui alimentaient le marché noir. Ce ne sera pas le cas avec le cannabis (SQDC), regrette Hugô St-Onge. Au Québec, l’État va contrôler la distribution par le biais des boutiques de la Société québécoise du cannabis (SQDC). Toutefois, les contrats déjà octroyés montrent que les 60 tonnes réservées par la SQDC ne représentent que 30% de la consommation annuelle des Québécois, le reste du marché restant occupé par le marché noir. «Le gouvernement devrait autoriser le développement d’un marché de niche haut de gamme, comme ce qui se fait avec les microbrasseries. Cela favoriserait une plus grande diversité de l’offre de produits, tout en régularisant certains producteurs du marché noir», dit M. St-Onge. Il précise que contrairement à la croyance populaire, le marché noir du pot n’est pas majoritairement dirigé par des groupes mafieux.

Santé
Mathieu Perron note qu’en plus d’avoir été incapable de diminuer l’alcoolisme, la prohibition de l’alcool a favorisé la consommation d’alcool artisanal frelaté, mauvais pour la santé, tout en permettant l’essor des gangsters, tels qu’Al Capone, l’explosion des bars (clandestins) et la corruption. La méfiance envers la consommation d’alcool a même contribué à la croissance de la commercialisation de masse des sodas, aujourd’hui source de diabète. Certains défenseurs de la légalisation du cannabis avancent des arguments similaires en mentionnant que la fin des interdictions entourant le cannabis permettra de mettre sur le marché des produits de meilleure qualité, dont les concentrations seront connues à l’avance par le consommateur. Le gouvernement de Justin Trudeau avance en outre que la légalisation permettra d’être plus efficace en matière de recherche sur la substance et de prévention. Selon Statistique Canada, 3,2% des Canadiens ont déclaré éprouver un problème d’abus ou de dépendance à l’alcool dans les 12 derniers mois, contre 1,3% dans le cas du cannabis.

Pablo Ortiz/Métro

Qualité
Jusqu’au début des années 2000, le cannabis le plus populaire sur le marché noir était le M39, «la Budweiser du pot», selon Hugô St-Onge. Il représente une variété qui fleurit en moins de 50 jours et qui est donc très rentable. Le fondateur du Bloc Pot ne croit toutefois pas que la légalisation amènera une offre plus intéressante. «Depuis 2001 et l’autorisation du cannabis thérapeutique, il y a déjà eu une augmentation de l’expertise grâce à l’octroi des permis pour le faire pousser. Cette expertise s’est répercutée sur le marché noir du cannabis récréatif», dit-il. Il craint en outre que les règles fédérales en termes d’irradiation des cocottes fassent qu’au final, les produits soient trop similaires au goût. Mathieu Perron croit de son côté que «le marché va se réguler et les meilleurs produits resteront». Mais selon lui, il faudra encore quelques années avant que fumer du pot en famille autour de la dinde de Noël devienne un geste banal.

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