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ALÉNA: Trump et Trudeau laissent planer le doute

DARRYL DYCK / La Presse Canadienne Photo: DARRYL DYCK
Mike Blanchfield, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

WASHINGTON — Donald Trump et Justin Trudeau ont porté à un autre niveau leur stratégie du tout pour le tout en matière de négociation commerciale, mercredi, en laissant tous deux entendre qu’ils seraient prêts à tourner le dos à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) s’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent.

Le premier ministre canadien a qualifié le président américain de «briseur de règles» en plaidant pour le maintien du chapitre sur le règlement des différends que M. Trump veut éliminer de l’ALÉNA. Le président Trump, de son côté, a affirmé que le Canada avait bien plus à perdre que les États-Unis si les deux pays n’arrivaient pas à s’entendre pour sauver l’ALÉNA.

«Ça ira bien pour notre pays», a dit M. Trump. «Mais ça n’ira pas bien pour le Canada.»

La grandiloquence dont les deux dirigeants ont fait preuve mercredi contrastait avec le ton modéré de la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, qui a repris les pourparlers de l’ALÉNA à Washington avec le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer.

Au cours d’un entretien téléphonique avec une station de radio d’Edmonton, M. Trudeau a présenté certaines de ses critiques les plus acerbes à l’endroit de l’imprévisible président américain. À la station de radio CHED, il a déclaré que le Canada ne céderait pas un pouce à la volonté de M. Trump de supprimer les comités de règlement des différends du chapitre 19 de l’ALÉNA. Ce chapitre permet aux entreprises de soumettre leurs différends à des arbitres indépendants, ce que M. Trump considère comme une violation de la souveraineté américaine.

«Nous devons conserver le règlement des différends du chapitre 19 parce que cela garantit que les règles sont vraiment respectées. Et nous savons que nous avons un président qui ne suit pas toujours les règles telles qu’elles sont présentées», a affirmé M. Trudeau.

Bien que Mme Freeland se soit dite d’accord avec l’évaluation de M. Trump faite par M. Trudeau, elle a insisté pour souligner la «bonne foi» et la «bonne volonté» de M. Lighthizer, tandis que les négociations entrent dans une phase que plusieurs jugent critique.

Alors qu’elle émergeait dans l’humidité étouffante de Washington après deux heures de pourparlers avec M. Lighthizer, la ministre Freeland a répété qu’elle ne négocierait pas en public, comme convenu avec M. Lighthizer. Mais elle a ajouté: «Je suis d’accord avec le premier ministre en public tout le temps, et en privé 99,99 pour cent du temps (…) Il a fait des commentaires importants.»

Mercredi soir, Mme Freeland a affirmé que l’«atmosphère demeure productive et constructive», ajoutant que les responsables des deux pays poursuivraient les discussions jusqu’à tard dans la soirée.

Le Super Bowl, source de mécontentement

À la demande de M. Trump, les trois pays de l’ALÉNA négocient depuis plus d’un an pour renouveler l’accord trilatéral qui fait partie intégrante de l’économie du continent depuis plus de deux décennies. Les États-Unis et le Mexique ont conclu un accord la semaine dernière, ce qui a forcé le Canada à négocier séparément avec les États-Unis.

Lors de l’entretien radiophonique à Edmonton, M. Trudeau a réitéré sa défense acharnée de l’exception culturelle du Canada dans l’ALÉNA.

Des sources bien au fait de la position de négociation canadienne disent que l’exception culturelle, que défend le Canada depuis la réouverture des pourparlers de l’ALÉNA, reste un point de friction dans les négociations, aussi avancées soient-elles.

«L’idée de la préserver reste un problème non résolu entre les deux», a indiqué une source qui a requis l’anonymat en raison du caractère sensible de la question.

Une partie de ce désaccord sur l’exception culturelle tourne autour de la décision du Canada d’autoriser la diffusion des publicités du Super Bowl américain.

La décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) d’autoriser la diffusion de publicités américaines parfois emblématiques à la télévision canadienne a soulevé la colère de M. Lighthizer pendant la longue renégociation de l’ALÉNA.

«Les États-Unis sont très préoccupés par cette politique», a écrit M. Lighthizer plus tôt cette année dans son rapport annuel sur les obstacles au commerce américain.

Dans une section sur le contenu canadien de la radiodiffusion, le représentant américain au Commerce a souligné la décision du CRTC en 2015 qui interdisait aux annonceurs canadiens d’insérer leurs publicités dans la diffusion du Super Bowl en remplacement des publicités américaines, plus populaires.

Les nouvelles règles sont entrées en vigueur à compter du Super Bowl de février 2017.

La Ligue nationale de football (NFL) et Bell Média, qui détiennent les droits canadiens sur le jeu, ont présenté séparément une demande auprès de la Cour d’appel fédérale pour faire annuler la décision. En décembre 2017, le tribunal a rejeté leurs appels.

Selon le rapport de M. Lighthizer, les réseaux américains étaient préoccupés par la politique du CRTC: «Les fournisseurs de programmes américains estiment que le prix payé par les réseaux canadiens pour les droits du Super Bowl est déterminé par la publicité qu’ils peuvent vendre au Canada et que la décision du CRTC réduit la valeur de leur programmation.»

D’après M. Lighthizer, les radiodiffuseurs américains en activité dans les États frontaliers se sont également plaints du fait que certains de leurs homologues canadiens captent les signaux américains et les redistribuent au Canada sans consentement. «Les États-Unis explorent des pistes pour répondre à ces préoccupations», a écrit M. Lighthizer.

Pas de faveur pour M. Trump

La Maison-Blanche doit présenter un texte au Congrès américain avant le 1er octobre afin que le Canada se joigne à l’accord que l’administration Trump a signé avec le Mexique la semaine dernière, en apportant ses conditions, selon des analystes en matière de commerce.

Le président Trump aimerait obtenir une victoire sur le front du commerce avant les élections de mi-mandat des États-Unis en novembre, qui mettront à l’épreuve sa capacité à garder le contrôle du Congrès.

Mais M. Trudeau a laissé entendre mercredi qu’il n’allait pas se presser pour faire de faveur à quiconque.

«Nous n’accepterons pas de signer un mauvais accord simplement parce que le président le désire», a déclaré le premier ministre.

L’objectif général des négociations est d’officialiser l’accord d’ici le 1er décembre afin qu’il entre en vigueur avant l’arrivée en fonction du nouveau président du Mexique, sans quoi le président Donald Trump menace de finaliser un accord avec le Mexique qui exclurait le Canada.

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