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La justice militaire ébranlée par un jugement

Lars Hagberg / La Presse Canadienne Photo: Lars Hagberg
Lee Berthiaume, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

OTTAWA — La justice militaire est menacée au Canada à la suite d’une décision de la Cour d’appel de la cour martiale qui a conclu que le processus de juger des militaires pour des crimes graves, comme une agression sexuelle ou un meurtre, viole leurs droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

La décision a été rendue discrètement, la semaine dernière, et les procureurs s’efforcent maintenant de sauver le système de justice militaire. Le Directeur des poursuites militaires, le colonel Bruce MacGregor, demande à la Cour suprême du Canada de suspendre le jugement jusqu’à ce qu’elle rende sa propre décision.

Cependant, même si certains membres des Forces armées mettent en garde contre les dommages que la décision pourrait causer si elle est maintenue, de nombreuses personnes croient que cette refonte du système de justice militaire aurait dû avoir lieu depuis longtemps.

La cause à l’origine de cette décision remonte à décembre 2014 lorsque la police militaire a accusé un soldat basé à Edmonton, le caporal-chef Raphael Beaudry, d’une agression sexuelle causant des lésions corporelles.

La Charte canadienne des droits et libertés stipule que toute personne accusée d’un crime passible d’une peine maximale de cinq ans ou plus peut demander un procès devant jury. La seule exception concerne les affaires qui relèvent du droit militaire, qui sont jugées par un tribunal militaire.

Toutefois, une clause spéciale de la loi sur la défense nationale prévoit que des causes civiles, telles que des agressions sexuelles et des meurtres, peuvent être considérées comme du droit militaire, même si l’infraction présumée ne concerne pas le service militaire de l’accusé.

En conséquence, lorsque M. Beaudry a demandé que sa cause soit entendue par un jury, la requête a été rejetée et il a été déclaré coupable par une cour martiale.

Toutefois, dans une décision majoritaire rendue la semaine dernière, la Cour d’appel de la cour martiale a déterminé que «les infractions civiles ne sont pas des infractions de droit militaire». Cela accorde le droit à M. Beaudry et aux autres militaires accusées de crimes graves de subir un procès devant jury.

La décision entérinée par deux des trois juges de la cour d’appel militaire ne concerne ni les infractions spécifiques à l’armée, telles que la désertion et une conduite déshonorante, ni les crimes commis par des membres des forces armées alors qu’ils sont déployés à l’extérieur du pays.

Mais cela laisse des dizaines de dossiers en cours de traitement dans le système de justice militaire concernant des agressions sexuelles et d’autres infractions dans un flou. Tout comme la manière de traiter les futures accusations.

«Quarante affaires qui sont actuellement dans le système de justice militaire sont touchées par cette décision, ce qui représente plus de la moitié de notre charge de travail annuelle», a écrit le directeur des poursuites militaires Bruce MacGregor dans sa requête à la Cour suprême.

Il ajoute que de renvoyer ces dossiers devant les tribunaux civils créerait des retards et compromettrait la possibilité de juger ces affaires au mérite.

L’arrêt Jordan, rendu par la Cour suprême en 2016, viendrait compliquer les choses, alors qu’il impose un délai maximal pour qu’une affaire pénale soit jugée.

Bien que le prévenu Raphael Beaudry soit loin d’être le premier à contester la constitutionnalité du système de justice militaire et que la Cour suprême ait déjà accepté en mars d’examiner la question, toutes les requêtes précédentes ont été rejetées par les juridictions inférieures.

Les procureurs militaires évaluent maintenant «toutes les options possibles pour s’assurer que toutes les affaires concernées progressent rapidement et soient jugées avec toute la rigueur de la loi», a commenté Bruce MacGregor dans une déclaration écrite envoyée à La presse canadienne.

Mais pendant que les procureurs militaires s’efforcent de sauver le système, certains des plus grands experts du droit militaire canadien célèbrent cette décision et espèrent que la Cour suprême adoptera le même point de vue.

Le juge à la retraite, Gilles Létourneau, insiste sur le fait que cette décision ne compromet pas la capacité de l’armée à faire respecter l’ordre et la discipline, mais garantit aux militaires l’accès à un procès devant jury comme tous les autres Canadiens accusés de crimes graves.

«C’est vraiment injuste (pour eux), a mentionné M. Létourneau, qui a déjà siégé à la Cour fédérale et à la Cour d’appel de la cour martiale. Ce sont des personnes dont le travail est de protéger la population et elles sont privées d’un droit fondamental qui est reconnu à l’ensemble de la population».

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