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Valeurs mobilières: Québec n’adhérera pas à la commission pancanadienne

Justin Tang / La Presse Canadienne Photo: Justin Tang
Mylène Crête - La Presse Canadienne

OTTAWA — Le gouvernement du Québec ne se joindra pas à la nouvelle commission pancanadienne des valeurs mobilières qui a obtenu l’aval du plus haut tribunal du pays vendredi.

«Nous comprenons la décision rendue par la Cour suprême du Canada, mais nous entendons garder notre autonomie et notre expertise au Québec», a déclaré le nouveau ministre québécois des Finances, Éric Girard, par voie de communiqué, en ajoutant que le «secteur de la finance est hautement stratégique».

C’est ce que demandait la Fédération des Chambres de commerce du Québec quelques heures après le jugement.

Le Québec a essuyé un revers en Cour suprême vendredi matin. Il s’opposait au projet d’Ottawa de réglementer le marché des valeurs mobilières à l’échelle du pays, un pouvoir qui relève présentement de chacune des provinces. Québec accusait Ottawa d’utiliser la porte d’en arrière pour tenter de créer le régime qu’il avait échoué à mettre sur pied par la porte d’en avant sept ans auparavant.

Dans un jugement unanime, les neuf juges de la Cour suprême ont conclu que la nouvelle mouture de la commission pancanadienne des valeurs mobilières respecte le champ de compétence des provinces. Ils cassent ainsi le renvoi de la Cour d’appel du Québec.

C’était la deuxième fois depuis 2011 que le plus haut tribunal du pays se prononçait sur la constitutionnalité d’une commission pancanadienne des valeurs mobilières.

Ce régime coopératif optionnel a été créé par le gouvernement conservateur de Stephen Harper après l’échec d’une première tentative. Dans le renvoi de 2011, la Cour suprême avait alors jugé que la création d’un organisme national de réglementation des valeurs mobilières contrevenait à la Constitution canadienne parce qu’elle constituait «une intrusion massive par le fédéral» dans un champ de compétence provincial. Ce premier projet élaboré dans la foulée de la crise financière de 2008 visait à réglementer l’ensemble des marchés de capitaux. La Cour avait toutefois laissé la porte ouverte à la création d’un régime coopératif auquel les provinces pourraient choisir de participer puisqu’il s’agit d’un champ de compétence partagé.

Le gouvernement Harper a donc tenté de mettre sur pied un organisme de réglementation coopératif avec les gouvernements de cinq provinces et d’un territoire. La Colombie-Britannique, l’Ontario, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et le Yukon se sont entendus avec Ottawa pour adopter une réglementation commune afin d’encadrer le commerce des valeurs mobilières.

La Cour souligne que ce nouveau régime coopératif proposé par Ottawa en 2013 est optionnel et que le choix d’une province d’y participer ou non relève d’une décision politique. Ce nouveau régime prévoit que soient adoptées des lois uniformes dans les provinces participantes sur ce qui relève de leur compétence, comme l’inscription des courtiers et l’encadrement des prospectus. Le fédéral adopterait une loi complémentaire portant uniquement sur les questions de droit criminel, les risques systémiques dans les marchés de capitaux et la collecte de données nationales. Une «Autorité des marchés financiers» nationale serait créée et supervisée par un conseil des ministres des Finances fédéral et provinciaux.

Le Québec avait choisi de ne pas y adhérer, mais avait tout de même porté la cause devant les tribunaux. Il soutenait qu’Ottawa utilisait un moyen détourné pour centraliser la réglementation des marchés en la camouflant en un exercice de collaboration entre les provinces. Il craignait que cette initiative ait pour effet d’empêcher les provinces de légiférer dans ce domaine. L’Alberta et le Manitoba avaient des préoccupations similaires.

Mauvais signal

Le jugement de la Cour suprême risque d’avoir pour effet de marginaliser l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’organisme de réglementation du Québec, selon le Parti québécois et le Bloc québécois

«C’est un gros recul pour le Québec», a déploré le député bloquiste Xavier Barsalou-Duval qui craint que l’AMF perde certaines de ses responsabilités.

«À terme, le problème que ça crée, c’est que toutes les provinces une par une — c’est déjà commencé — embarquent dans le nouveau système fédéral de réglementation des valeurs mobilières et si le Québec se trouve isolé, ça va être bien difficile de garder nos emplois à Montréal», a-t-il ajouté.

«On envoie le signal que les affaires, ça se passe à Toronto», a dénoncé, à son tour, le chef intérimaire du Parti québécois, Pascal Bérubé, qui considère le projet fédéral comme «une attaque face à l’autonomie du Québec».

Il a écorché au passage le nationalisme du gouvernement de François Legault qu’il juge peu convaincant.

Dans son communiqué, le ministre Éric Girard s’est dit déterminé «à défendre les intérêts des Québécois et Québécoises ainsi que les compétences du Québec contre d’éventuels empiétements». Il entend obtenir des «garanties» du gouvernement fédéral en ce sens.

L’AMF s’est faite rassurante même si elle croit que le projet d’Ottawa «n’est pas dans l’intérêt du Québec et des investisseurs québécois». Elle a indiqué par communiqué qu’elle allait continuer de jouer «pleinement son rôle de régulateur» et qu’elle sera disposée «à collaborer avec les autres régulateurs au pays» afin d’assurer la stabilité et l’efficience des marchés à l’échelle du pays.

Le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, de passage en Chine vendredi, a promis par la voie de son attaché de presse de maintenir «un dialogue continu avec les provinces et territoires non participants» pour que leurs «points de vue et leurs préoccupations» soient pris en compte.

«Il est primordial d’entretenir un dialogue constructif, le régime coopératif se limitant à une participation volontaire, et nous continuerons de respecter les pouvoirs des organismes de réglementation existants des provinces et territoires où le régime coopératif ne s’appliquera pas», a indiqué Pierre-Olivier Herbert.

La Cour suprême note dans son jugement que le Canada «est l’un des seuls pays industrialisés au monde à ne pas avoir d’organisme national de réglementation des valeurs mobilières» en raison du partage des compétences entre le fédéral et les provinces. Il en résulte un «ensemble disparate de régimes provinciaux de réglementation à l’échelle du pays». Ces disparités pourraient demeurer puisque, comme le souligne le plus haut tribunal du pays, chaque parlement est souverain. Chacune des provinces participantes a donc le choix de décider si elle veut ou non «renoncer à un certain degré d’autonomie en matière de réglementation des valeurs mobilières afin d’assurer l’uniformité nationale».

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