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Violence faite aux femmes: des préjugés tenaces

MONTRÉAL – «Si elle a été agressée, c’est parce qu’elle l’a cherché en portant des vêtements sexy»: la phrase, peut-être devenue un cliché, vient régulièrement aux oreilles des membres des organisations féministes réunies dimanche pour lancer la campagne des 12 jours d’actions pour l’élimination de la violence faite aux femmes.

Le phénomène, ont-elles rappelé, est loin d’être chimère: l’organisme d’intervention SOS Violence reçoit quelque 250 000 demandes d’aide par année et au cours des 20 dernières années, plus de 600 femmes autochtones ont été portées disparues ou assassinées au Canada dans une indifférence quasi-générale, selon ces groupes féministes.

Or si les femmes sont ciblées, ce n’est pas un hasard, avertit la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Alexa Conradi. Selon elle, la société demande davantage aux femmes de prévenir les agressions qu’elle ne demande aux agresseurs de ne pas agresser les femmes et ce, malgré le discours égalitaire qu’elle tient.

Pour illustrer ses propos, Mme Conradi rappelle des plaintes pour violence par les pairs qui auraient été dissimulées —avec ou sans succès— par certains services de police.

À ce sujet, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a tout récemment publié un démenti dans le cadre d’une série de poursuites pour harcèlement intentées par des employées, dont l’agente Karen Katz, qui soutient que la tactique de la GRC «consiste à nier» et que le processus de traitement des plaintes de la police fédérale ne fonctionne pas.

Pour Mme Conradi, une partie de la solution tient dans la responsabilisation des gestes sexistes et dégradants, notamment l’intimidation basée sur le sexe ou l’apparence physique et les blagues machistes.

L’accompagnement des victimes est lui aussi d’une importance capitale selon elle.

«Les femmes victimes de violence subissent toutes sortes de contraintes, dont des commentaires du genre: « Peut-être que ce n’est aussi grave que tu le crois » ou « Tu étais dehors trop tard », et ces paroles donnent l’impression que les victimes ne sont pas prises au sérieux ou qu’on n’aime pas les entendre quand elles choisissent de dénoncer leurs agresseurs», remarque M. Conradi.

«En plus, les trois-quarts des agressions sont faites par des personnes que les victimes connaissent, ce qui les rend encore plus réticentes à dénoncer.»

Honte et peur: pour ces deux raisons, entre autres, bien des femmes choisissent de taire les agressions qu’elles subissent, mais leurs fantômes reviennent parfois les hanter malgré tout.

«Chez certaines femmes venues de pays en guerre où le viol a été utilisé comme stratégie de combat, les séquelles ressortent ici au Canada», constate Mme Conradi. «Dans les cas d’inceste, les symptômes se manifestent parfois 10 ou 15 ans après l’agression parce que les victimes ont subi beaucoup de honte. Elles peinent alors à comprendre pourquoi elles sont déprimées.»

Au nombre des pistes de solutions, la FFQ propose l’amélioration des rapports hommes-femmes, par l’égalité des salaires et l’augmentation de la présence féminine à la tête des grandes institutions, notamment. Les organismes derrière la campagne lancée dimanche — dont Femmes autochtones du Québec, la Fédération des ressources d’hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec, la FFQ, le Regroupement des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et la Table de concertation des organismes au services des personnes réfugiées et immigrantes — s’entendent sur le rôle central joué par l’État dans la lutte contre la violence.

Si elles citent le Québecen exemple parce qu’il est la seule province canadienne à s’être dotée d’une politique interministérielle en violence conjugale et d’un plan d’action gouvernemental, les organismes posent un regard beaucoup plus critique sur Ottawa.

«Pour nous, le gouvernement conservateur n’est non seulement pas un vrai allié de la lutte contre la violence envers les femmes, il apporte des politiques qui vont à l’encontre de l’intérêt des femmes», affirme Mme Conradi.

«Historiquement, les gouvernements conservateurs s’attaquent à l’égalité hommes-femmes en apportant une perspective traditionnelle. Ils sont influencés par la droite chrétienne. Ce sont des gens qui n’ont pas à coeur l’égalité des sexes», tranche celle dont l’organisme a réclamé la démission de la ministre fédérale responsable de la Condition féminine, Rona Ambrose, après qu’elle eut voté en faveur de la motion M-312 qui visait à débattre du moment où le foetus devrait être considéré comme une personne humaine à part entière.

De son côté, le gouvernement de Stephen Harper affirme vouloir essayer de mettre fin aux différentes formes de violence par des mesures ciblées.

«Notre gouvernement a pris des mesures ciblées pour mettre fin à la violence faite aux femmes partout au Canada et, en fait, nous avons augmenté le financement pour les femmes à son plus haut niveau. Nous travaillons sans relâche pour améliorer la sûreté et la sécurité dans les collectivités du pays et soutenons des projets importants qui donnent des résultats concrets pour les femmes et les filles», a indiqué Michael Bolkenius, attaché de presse de la ministre Ambrose, dans un courriel envoyé à La Presse Canadienne, dimanche.

Et les agresseurs? Là aussi, l’opinion de Mme Conradi diffère de celle du gouvernement conservateur.

«Il faut maintenir un certain équilibre entre le piège de la banalisation de la violence et la possibilité que les agresseurs soient réhabilités. C’est important de faire de la réhabilitation, le changement est possible», croit-elle.

«L’approche loi et l’ordre [prônée par le gouvernement fédéral] crée souvent plus de problèmes qu’il le faut.»

La Campagne des 12 jours d’action pour l’élimination de la violence envers les femmes a été lancée dimanche, et elle se terminera le 6 décembre prochain, Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes et date à laquelle, en 1989, Marc Lépine a tué 14 étudiantes de l’École polytechnique de Montréal.

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