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Le Canada est coincé entre les États-Unis et la Chine

Photo: Justin Tang / La Presse canadiene

TORONTO — Le président américain Donald Trump a tout d’abord attaqué le Canada dans le cadre d’une querelle commerciale. Puis, l’Arabie saoudite l’a puni pour avoir défendu les droits de la personne. La Chine a maintenant le pays dans sa mire: elle retient deux Canadiens apparemment en représailles pour l’arrestation d’une dirigeante chinoise du secteur de la technologie au nom des États-Unis.

Le Canada est pris dans les tirs croisés de deux superpuissances et en subit les conséquences — et son allié au sud de la frontière s’est remarquablement abstenu de lui venir en aide.

«Nous n’avons jamais été aussi seuls, a estimé l’historien Robert Bothwell. Nous n’avons pas d’alliés sérieux. Et je pense que c’est un autre facteur dans ce que font les Chinois. (…) Nos moyens de représailles sont très minces. La Chine est une puissance hostile.»

Les deux Canadiens, Michael Kovrig, un ancien diplomate en Chine, et Michael Spavor, un entrepreneur qui vivait dans le nord-est de la Chine près de la frontière nord-coréenne, ont été arrêtés lundi. Ils sont soupçonnés d’avoir «participé à des activités mettant en danger la sécurité nationale» de la Chine, selon Lu Kang, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Les agents consulaires canadiens n’ont pas encore pu leur parler.

Leurs détentions accentuent la pression sur le Canada, qui a arrêté le 1er décembre Meng Wanzhou, la directrice financière du géant des télécommunications Huawei, à la demande des États-Unis. Les États-Unis veulent qu’elle soit extradée pour faire face à des accusations selon lesquelles sa société et elle ont induit les banques en erreur au sujet des transactions commerciales de la société en Iran. Un juge canadien a libéré Mme Meng sous caution mardi.

L’affaire a déclenché une querelle diplomatique entre les trois pays, et le Canada se retrouve coincé au centre.

Jusqu’à présent, le Canada entretenait de bonnes relations avec la Chine grâce aux liens forgés par le père du premier ministre canadien Justin Trudeau, feu le premier ministre Pierre Trudeau qui a contribué à la mise en place de la formule de la Chine unique qui a permis à de nombreux autres pays de reconnaître la Chine dans les années 1970. Le Canada a reconnu l’existence d’un gouvernement chinois et ne reconnaît pas officiellement Taïwan.

La Chine est depuis devenue le deuxième partenaire commercial du Canada, après les États-Unis. Les investissements chinois ont alimenté les booms immobiliers à Vancouver et à Toronto. Et un tiers des étudiants étrangers au Canada sont des Chinois. Justin Trudeau a même parlé d’un possible accord de libre-échange avec la Chine dans le but de diversifier les échanges commerciaux du Canada, qui envoie 75 pour cent de ses exportations aux États-Unis.

Mais le premier ministre canadien a été peu loquace depuis l’annonce des arrestations de cette semaine. Le chef de l’opposition conservatrice, Andrew Scheer, a déclaré que M. Trudeau ne faisait pas preuve de suffisamment de fermeté envers les Chinois.

«Cette situation montre que l’approche naïve de Justin Trudeau dans les relations avec la Chine ne fonctionne pas», a déclaré M. Scheer.

Il s’agit du deuxième différend entre le Canada et une puissance majeure cette année. En juin, M. Trump a promis de faire payer le Canada après que M. Trudeau eut prévenu qu’on ne le bousculerait pas dans la négociation d’un nouvel accord commercial nord-américain, une attaque sans précédent contre le plus proche allié des États-Unis. M. Trump a qualifié M. Trudeau de faible et malhonnête, des mots qui ont choqué les Canadiens.

Ensuite, M. Trump a déclaré cette semaine qu’il pourrait intervenir dans l’affaire Huawei si cela contribuait à la conclusion d’un accord commercial avec la Chine, contrecarrant les efforts des États-Unis pour séparer la procédure judiciaire des négociations commerciales américano-chinoises et contredisant les responsables canadiens qui affirmaient que l’arrestation n’était pas politique.

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a décoché une flèche à M. Trump en déclarant qu’il était «tout à fait évident» que tout pays étranger demandant une extradition devrait s’assurer «que le processus n’est pas politisé».

«Normalement, le Canada peut compter sur les États-Unis pour l’appuyer dans une affaire comme celle-là», a rappelé Laura Dawson, une ancienne conseillère économique à l’ambassade américaine à Ottawa et la directrice du Canada Institute au groupe de réflexion Wilson Center à Washington. Mme Dawson a ajouté qu’il était inhabituel pour Washington «d’abandonner le Canada à son sort».

«Le président Trump a clairement indiqué que les anciennes alliances ne comptent plus autant, a-t-elle dit. Il n’a pas caché sa préférence pour une approche autonome et son manque de respect pour les alliances traditionnelles.»

Les années précédentes, les États-Unis auraient peut-être défendu le Canada s’il était attaqué et les autres pays savaient que les États-Unis protégeaient les arrières du Canada. Plus maintenant. En août, le gouvernement saoudien a expulsé l’ambassadeur du Canada auprès du royaume et a rappelé son propre ambassadeur après que le ministère des Affaires étrangères du Canada eut indiqué sur Twitter son soutien à un activiste saoudien arrêté. Les Saoudiens ont également vendu des investissements canadiens et ordonné à leurs citoyens qui étudient au Canada de partir. Aucun pays, y compris les États-Unis, n’a manifesté publiquement son soutien au Canada.

Et maintenant, les enjeux sont beaucoup plus importants. Le Canada est l’un des rares pays au monde à défendre les droits de la personne et la primauté du droit dans le monde. Et les échanges commerciaux entre la Chine et le Canada sont de plus en plus importants, le Canada cherchant à accroître ses exportations en Asie, ses échanges commerciaux avec les États-Unis étant menacés par les droits de douane de M. Trump sur les produits canadiens.

«Au début de Trump, il y avait cette idée que les Chinois remplaceraient peut-être les Américains» en tant que partenaire commercial le plus éminent du Canada, «mais c’est tout simplement fou», a dit l’historien Robert Bothwell de l’Université de Toronto. «Les relations de tous les petits pays avec la Chine sont vraiment graves.»

Derek Scissors, un sinologue du groupe conservateur American Enterprise Institute, estime que les actions de la Chine envers le Canada ont été «sournoises».

«Vous détenez un Canadien parce que les Canadiens ne peuvent rien faire. C’est un comportement d’intimidation», a-t-il dit.

Notant que le Canada ne faisait que respecter une procédure d’extradition de routine avec les États-Unis, M. Scissors a déclaré que les États-Unis devraient dire: «Pourquoi arrêtez-vous des Canadiens? Vous avez un problème avec nous.»

David Mulroney, un ancien ambassadeur du Canada en Chine, est d’avis que non seulement les États-Unis, mais également les autres pays occidentaux devraient défendre le Canada.

«Ce serait bien si publiquement et aussi dans les coulisses si des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la France mettaient un mot en notre nom et laissaient savoir aux Chinois à quel point c’était dommageable pour leur réputation et pour la notion que la Chine est un endroit sûr pour travailler et poursuivre une carrière», a expliqué M. Mulroney.

«Je pense que plusieurs étrangers en Chine regardent nerveusement derrière eux en ce moment», a-t-il ajouté.

Christopher Sands, de l’École des hautes études internationales à Washington, a dit que le monde entier a pris note de la façon dont M. Trump a traité le Canada lors des négociations commerciales et du silence des États-Unis face à la réaction exagérée de l’Arabie saoudite quand le Canada a exprimé ses préoccupations face au traitement du dissident saoudien.

«En temps normal, les États-Unis envoient un signal, généralement discret, aux alliés de se taire et d’être gentils, a dit M. Sands. Ce qui aggrave la situation, c’est que la Chine s’en prend au Canada, pas pour l’initiative du Canada, mais pour le fait que le Canada a honoré un mandat américain. Les dommages causés par notre silence en termes de relations d’alliance sont vraiment terribles.»

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