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Le garde-fou du droit

Chaque fois que je publie un nouveau livre, le Centre collégial de Mont-Laurier, ma première alma mater, me fait le plaisir d’organiser un lancement avec ses étudiant.es et autres intéressés. La sortie de Dérèglements politiques, cet automne, n’a pas fait exception à cette (très) sympathique règle. L’un des sujets du bouquin en est un qui me tarabuste depuis longtemps : la santé de l’État de droit.

Parce que depuis déjà quelques années, on assiste à un affaissement graduel, mais irréversible, de celui-ci. Lentement mais sûrement, nous en sommes venus à tolérer, à accepter, voire à souhaiter diverses violations des droits civils ou tricheries politiciennes. Les droits des minorités? Bah, juste du trouble. Les chartes et les tribunaux? Honnis. Le Brésil qui vient d’élire un facho assumé à titre de président. Les Américains qui, malgré la volonté électorale du candidat Trump d’adopter un muslim ban, de ficher ces mêmes musulmans et de leur faire porter un signe distinctif (allô, 1934), l’ont quand même élu.

Alors que nous discutions justement de ces cas de figure, la nouvelle députée du coin, la caquiste Chantal Jeannotte, entre dans l’amphithéâtre collégial. Elle hoche immédiatement la tête. De désapprobation, apparemment. Son droit, remarquez bien. S’emparant du micro, elle y va d’une envolée lyrique mi-agressive, mi-accusatoire, expliquant au contraire que l’État de droit se porte particulièrement bien, notamment au Québec. La preuve? La province vient de porter au pouvoir la CAQ avec une forte majorité de 75 députés. Et le rapport, madame la députée? C’est simple: que le gouvernement caquiste est le fiduciaire de la volonté populaire, que celui-ci contrôle l’exécutif, le législatif et le judiciaire (!!!), et qu’il fera tout en son pouvoir pour réaliser les réformes voulues par le peuple*. Hipelaye.

C’est précisément ce qui m’est venu à l’esprit lundi lorsque le ministre Jolin-Barrette s’est fait visser, en bonne et due forme, par la Cour supérieure. Selon le juge Bachand, la décision du ministre d’annuler les 18 000 dossiers pendants a pour conséquence de «priver les candidats à l’immigration de leur droit à ce que leur demande soit étudiée». Il y va enfin de l’uppercut final, envoyant Jolin-Barrette au tapis, en lui reprochant d’avoir agi avant même que son projet de loi ne soit adopté, règle la plus élémentaire du droit administratif : «[…] La décision du ministre ne peut évidemment pas trouver une justification juridique valable dans un texte législatif non encore en vigueur comme l’article 20 du projet de loi 9, a-t-il écrit. Il doit agir conformément au droit en vigueur, et non sur le fondement d’une modification législative projetée.» BOUM.

Parce que non, un gouvernement ne peut se considérer comme étant au-dessus des lois.

Ne peut agir comme omnipotent, hors des règles établies. Et, avis à certains chroniqueurs, quand la Cour supérieure force un ministre à respecter une loi adoptée par l’Assemblée nationale, ce n’est pas ce qu’on appelle le «gouvernement des juges». Plutôt le respect de l’État de droit, ce sur quoi reposent les règles du jeu et, ultimement, la démocratie. Les sceptiques ou les déçus peuvent essayer un autre type de régime, appelé autocratie. Pas ça qui manque, présentement, dans le monde. Et paraît que c’est ben l’fun

*L’enregistrement de l’intervention est disponible.

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