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Ils ont connu l’invasion soviétique en Pologne il y a 80 ans

Halina Babinska a survecu à la Seconde guerre mondiale.
Halina Babinska a survécu à la Seconde guerre mondiale. Photo: Josie Desmarais/Métro

Le blitzkrieg lancé par le régime nazi contre la Pologne le 1er septembre 1939 marque le début de la Seconde Guerre mondiale. Mais bien des gens oublient que la Pologne a aussi souffert aux mains des Russes, qui ont partagé le territoire avec l’Allemagne au début de la guerre. Quatre-vingts ans plus tard, Métro a rencontré des résidents montréalais d’origine polonaise qui ont vécu cette guerre meurtrière et ont connu l’agression soviétique.

Le 17 septembre, l’Union soviétique envahit l’est de la Pologne. C’est la mise en oeuvre d’un pacte de non-agression entre l’URSS et l’Allemagne nazie: l’est aux Soviétiques, l’ouest au Troisième Reich.

La Pologne souffrira aux mains des deux régimes. Selon la professeure d’histoire russe Alison Rowley, cette partie de l’histoire n’est pas assez documentée dans l’enseignement de la Seconde Guerre mondiale.

«Dans les livres d’histoires russes, on ne parle pas des déportations de l’Armée Rouge au début de la guerre, c’est comme si c’est jamais arrivé» indique la professeure de l’Université de Concordia.

Déportée au Kazakhstan

Halina Babinska n’avait que 10 ans en septembre 1939. Elle habitait alors dans l’est de la Pologne avec son frère, ses deux sœurs et ses parents.

«Cette année, la rentrée scolaire était différente des autres années, dit-elle. On nous parlait d’autodéfense et des précautions à prendre lors d’une attaque.»

La rentrée n’a duré que quelques jours.

«Nous étions en classe et avons entendu des explosions et des bombardements d’avions. À partir de ce moment, l’école, c’était terminé» se rappelle-t-elle.

Peu après, les forces soviétiques sont venues chercher son père, qui était dans l’armée polonaise, pour «une vérification de ses documents». Il n’est jamais revenu à la maison.

Selon Mme Babinska, il avait été arrêté et déporté dans une prison en Russie. Quelques mois plus tard, en février 1940, c’est toute la famille qui a été déportée au Kazakhstan.

«Ils sont venus, ont trouvé deux valises et ont dit à ma mère que c’était la seule chose qu’elle pouvait prendre avec elle. Ils nous ont mis dans un train et nous ont envoyés au Kazakhstan».

Halina Babinska, qui aura 90 ans à la fin du mois, se rappelle encore de cette journée «cruellement froide». Dans le train, raconte-t-elle, des bébés, de jeunes enfants et des femmes mouraient d’hypothermie. Les soldats jetaient leur corps par la porte du train.

«C’était du nettoyage ethnique. C’est très difficile d’imaginer à quel point c’était cruel si vous ne l’avez pas vécu, c’était presque irréel», dit-elle.

Résistance clandestine

Arrivé au Canada en 1952, Lech Andrzej Czerwinski n’avait que 17 ans au début de la Seconde Guerre mondiale. Il habitait alors à Sosnowiec dans le sud-ouest de la Pologne.

Au début de la guerre, il venait de terminer ces études collégiales. Avec un groupe de six d’étudiants, il avait formé un groupe secret pour discuter d’histoire et s’impliquer dans le changement social.

«Nous savions que la guerre allait venir, c’était inévitable, alors nous nous sommes préparés intellectuellement à y faire face», raconte-t-il.

Durant la guerre, M. Czerwinski s’est joint au mouvement de résistance polonaise clandestin, qui donnait des informations aux alliés anglais et combattait les nazis et les Soviétiques. Il estime que l’implication de la Pologne comme une force alliée n’a pas été reconnue à sa juste valeur.

«Nous étions les premiers à nous battre pour la démocratie. Mais à la fin de la guerre, lorsqu’il y a eu une parade pour les alliés à Londres, nous n’étions même pas invités à y participer», se désole-t-il.

M. Czerwinski se rappelle des exactions contre les intellectuels, surtout du côté allemand. Les premiers camps de concentration étaient d’ailleurs destinés aux intellectuels, étudiants et politiciens polonais. Sa femme avait été emprisonnée à Auschwitz avec sa famille, car son père était un homme politique, nous explique-t-il.

Les Soviétiques n’étaient pas en reste. Dans la forêt de Katyn, des milliers de soldats, d’intellectuels et d’autres membres de l’élite polonaise ont été assassinés par l’Armée rouge au printemps 1940. En 1990, l’URSS a admis avoir autorisé environ 22 000 assassinats de ce type en Pologne occupée.

Derrière son vécu, le survivant ne croit plus à la démocratie. Selon lui, elle est abusée par des gens qui n’ont que des ambitions personnelles. Aujourd’hui, il aimerait que plus de personnes prennent le temps de se questionner sur ce qui se passe dans le monde.

« Il n’y a pas de vie sans conflits, et les guerres ne sont que les solutions brutales au manque de compromis » – Lech Andrzej Czerwinski

En compagnie de trois autres polonais de Montréal qui ont vécu cette guerre meurtrière, Mme Babinska et M. Czerwinski ont partagé leurs histoires devant une centaine de personnes à l’Université de Concordia, le 10 septembre.

Pour la professeure d’histoire Alison Rowley, le partage de leurs histoires est monumental.

«J’essaie d’enseigner l’histoire de la Seconde Guerre mondiale à mes étudiants et je leur donne souvent des statistiques, mais ça ne veut rien dire, car les histoires individuelles ont plus de pouvoir. La douleur d’être déporté, d’avoir un parent arrêté et emprisonné ne quitte pas la mémoire des gens», affirme-t-elle.

Après leurs déportations en Russie, plusieurs Polonais se sont exilés dans des camps de réfugiés en Iran, en Inde et en Afrique de l’Est.  Le film «Memory is our homeland» qui trace leurs histoires sera d’ailleurs présenté cette semaine au Cinema du Musée et au Cinéma Moderne.

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