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CNESST: la «judiciarisation» du système d’indemnisation dénoncée

L'IRIS somme Québec de tenir une commission d’enquête qui aura pour mandat de «faire la lumière» sur les liens entre le financement et la prévention des accidents en milieu de travail à la CNESST. Photo: Collaboration spéciale

Les changements apportés à l’interne à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) depuis les années 90 ont causé «une explosion» des cas de contestation des employeurs. C’est du moins ce que plaide l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) dans une étude parue jeudi. L’organisme s’inquiète de la «judiciarisation» du système d’indemnisation.

«Plusieurs réformes liées au financement ont généré cette judiciarisation significative. On constate que les employeurs contestent de plus en plus les réclamations des travailleurs. Voire même les expertises médicales ou les avis de cotisation. Le problème est que ce sont les employeurs qui financent le système», explique à Métro l’auteur du rapport de 64 pages, Mathieu Charbonneau.

Selon le chercheur postdoctoral à l’Université Concordia, la donne a effectivement beaucoup changé en quelques décennies à la CNESST. Selon des données obtenues auprès de la Direction de la révision administrative (DRA), 61,1% des demandes de contestation provenaient d’employeurs en 2018. Le reste des requêtes (39,9%) sont remplies par des travailleurs.

Quand on compare la même donnée, mais 30 ans plus tôt, en 1986, «on voit que ça s’est inversé», dit le spécialiste. «À l’époque, on se situait presqu’à l’inverse, alors que 62,2% des demandes venaient des travailleurs, et 38,8% des employeurs. Ça illustre bien le problème», ajoute M. Charbonneau.

Un système alourdi

Toutes ces nouvelles réalités apportent leur lot de complications, souligne l’IRIS, dont un système qui est plus «lourd, complexe et difficile à naviguer» pour tout le monde. «Les délais d’attente qui augmentent à la CNESST, ce n’est que la pointe de l’iceberg», illustre le chercheur.

Ce dernier estime par ailleurs qu’autant dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail, qui chapeaute la prévention, que dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, qui traite des enjeux de financement, «rien ne démontre que les employeurs investissent plus en prévention».

«Les mécanismes en place ne tiennent pas compte d’aucun indicateurs ou d’investissements en prévention. C’est seulement basé sur ton historique de lésions, comme une assurance privée d’automobile.» – Mathieu Charbonneau, chercheur

À la Confédération des nationaux (CSN), le vice-président Jean Lacharité abonde dans le même sens. «Il y a effectivement une croissance de la judiciarisation des cas de travailleurs accidentés qui demandent des réclamations. C’est dû à un système de facturation des entreprises qui est très actif», explique-t-il. Selon lui, le fait que «les employeurs n’aient pas à payer la cotisation additionnelles» lorsqu’ils gagnent une contestation est au cœur du débat.

«C’est un énorme problème. On doit mettre sur la table des incitatifs à la prévention, parce que le système ne fonctionne pas. Une entreprise qui investit en prévention pourrait par exemple voir son taux de cotisation diminuer», envisage M. Lacharité.

Sollicité, le gouvernement «prend acte»

Devant ce constat d’échec, l’IRIS somme Québec de tenir une commission d’enquête qui aura pour mandat de «faire la lumière» sur les liens entre le financement et la prévention des accidents en milieu de travail. «On veut que la CNESST fasse un bilan des réformes entamées depuis les années 90. Il faut explorer un mode de financement alternatif», avance l’expert.

La simplification ainsi engendrée du système permettrait d’économiser «beaucoup d’argent», selon Mathieu Charbonneau. Il envisage ensuite un réinvestissement massif dans la prévention. «Il faut reconnecter prévention et financement, qui se sont développés de manière trop isolée dans les dernières années», juge-t-il.

Appelé à réagir, le ministre du Travail, Jean Boulet, dit «prendre acte» de l’étude de l’IRIS».

«J’exprime les mêmes préoccupations concernant la judiciarisation du système d’indemnisation. La prévention est le meilleur outil pour faire diminuer la fréquence et la gravité des lésions professionnelles.» -Le ministre du Travail, Jean Boulet

Québec doit dévoiler «sous peu» un projet de loi modernisant le régime de santé et sécurité du travail. «Le cœur de celui-ci sera la prévention», assure M. Boulet.

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