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Notre système de justice est-il déconnecté de l'opinion publique?

Métro, en collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde, poursuit sa rubrique «Le Québec en questions». Chaque lundi, on vous invite à participer à une discussion autour d’un thème précis. Dans le journal, trois personnalités et des jeunes ont entamé le débat. Sur le web, il se prolonge avec leurs réponses complètes et vos réactions.

Notre système de justice est-il déconnecté de l’opinion publique?

Une femme drapée de blanc qui tient dans sa main droite un glaive et dans l’autre une balance. C’est le symbole universel de la justice. Souvent, cette femme est représentée avec un bandeau sur les yeux. Si c’est pour représenter le fait qu’elle ne se laisse pas influencer, certains pourraient aussi dire aujourd’hui que c’est parce qu’elle est aveugle et laisse passer certaines choses. 

En effet, de nombreux Qué­bécois semblent outrés des faibles peines, des libérations conditionnelles, des programmes de réinsertion que prévoie notre système de justice. Mais est-ce réellement aux Québécois de décider de la sévérité du système de justice?

D’un côté, le public semble vouloir se protéger des criminels et des récidivistes. De l’autre, le système se retrouve avec un problème d’engorgement des prisons et souhaite alléger l’administration. Les peines plus sévères n’ont pas nécessairement d’incidence sur le taux de criminalité. Aux États-Unis, les sentences sont beaucoup plus longues et le taux de criminalité demeure encore bien plus élevé qu’ici.

Le directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, Me Louis Dionne, indiquait récemment au Journal de Mont­réal que «les outils [du Code criminel] sont adéquats. Il s’agit de les utiliser correctement. On est rendu comme société à se questionner sur la gestion de la peine.»

Perte de confiance

«Où est la justice?» entend-on parfois. Les Québécois ont-ils complètement perdu confiance en leur système judiciaire? Est-il possible pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde de participer au système de justice sans y laisser sa chemise? Bref, le système de justice est-il juste? La question de l’accès au système semble aussi être le talon d’Achille de notre système de justice. 

Trois personnalités se prononcent


Kathleen Weil
Ministre de la Justice du Québec

«Il faut distinguer l’intérêt public de l’opinion publique. L’opinion publique correspond aux convictions et aux valeurs partagées par les membres d’une société à un moment donné. Elle est en mouvance, teintée de contradictions. Le système de justice n’a pas à réagir continuellement à l’opinion publique, mais il doit être centré sur l’intérêt public, lequel n’est certainement pas toujours le miroir de l’opinion publique.

À cause de certaines causes très médiatisées, on sent parfois dans la population une perception négative à l’égard du système de justice criminelle. Il est d’intérêt public de réfléchir aux moyens de rétablir cette confiance en s’assurant de préserver la stabilité et l’équité du système de justice dans le respect des droits des citoyens. Le système de justice est très sensible à l’opinion publique, mais il doit demeurer au service de la justice et des citoyens, dans le meilleur intérêt de la société.

L’intérêt public est à la base des lois. Ces lois sont conçues pour le bien du plus grand nombre et sont votées par des gouvernements élus par  la population. L’intérêt public évolue et c’est aux élus de faire évoluer les lois en soupesant les intérêts en présence, dans le respect des chartes des droits et libertés.»


Julius Grey
Avocat

«Il faut se demander si elle devrait suivre l’opinion majoritaire. En matière de droit criminel, il est clairement inapproprié d’accorder trop de poids à l’opinion publique. Le populisme constitue un danger pour la liberté. La majorité semble vouloir augmenter la sévérité des peines, et cela, en dépit de taux de criminalité à la baisse. Pourtant, le sort d’un accusé ne devrait pas dépendre d’un vote majoritaire.

Par contre, la justice est déconnectée de l’opinion publique, et même du public, en matière civile et administrative. Les coûts des procès sont montés au point où l’homme moyen ne peut participer à un procès sans se ruiner. Cela crée un gouffre entre la population et le système, qui est de plus en plus au service des riches et des puissants. Les citoyens ne croient plus que ce système leur offre un service important.

Pour remédier à cette situation, il faut arrêter la surenchère des peines sévères en droit pénal et nous concentrer sur les fonds qui permettraient à la majorité de participer à des litiges. Il faut aussi simplifier ces litiges, supprimer les absurdités procédurales et rendre les règles de droit compréhensibles pour tous. Finalement, il faut que la justice reprenne son rôle dans la défense des démunis et des faibles. L’opinion publique ne tardera pas à encourager un système de justice qui honore ces obligations.»


Pierre-Hugues Boisvenu
Président de l’Association des familles des personnes assassinées ou disparues du Québec

«Dans les années 1980, à la suite de l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, s’installe sournoisement dans le système carcéral canadien une philosophie bizarre; l’incarcération est trop punitive pour les criminels. Il faut donc la proscrire au maximum et privilégier plutôt la réhabilitation et la réinsertion sociale. Toute la formation des criminologues dans les universités canadiennes et québécoises sera contaminée par ce fantasme d’une âme de criminel à sauver (lire la réhabilitation). Punir est mal, comprendre est bien et réhabiliter est l’antithèse de l’incarcération.

Pendant 30 ans, ces ‘logues’ seront les nouveaux gestionnaires des systèmes carcéraux canadien et québécois et ils porteront cette philosophie jusque dans l’enceinte de nos tribunaux. Nos juges succomberont à ce mirage issu tout droit des bancs d’écoles. Ils mettront tout en Å“uvre pour faire en sorte que le séjour en prison d’un criminel soit le plus court possible. Pour eux, seule la communauté peut réhabiliter un criminel.

On réduit donc les sentences au 1/6, on impose des sentences dans la collectivité, des sentences avec sursis, des sentences reportées, on compte le temps présentenciel en double, on privilégie les sentences concurrentes…bref le criminel est devenu la victime dans leur système de valeur, il faut donc lui reconnaître des privilèges. Ceux-ci deviennent rapidement la norme et nos pénitenciers des lieux où il fait bon vivre. L’aspect dissuasif des pénitenciers vient de disparaitre. Elles ne sont plus une barrière à la criminalité.

Cette tendance à victimiser les criminels parce la justice leur impose des sentences d’incarcération connaîtra son paroxysme dans nos systèmes canadiens et québécois des libérations conditionnelles. Les juges imposent des sentences de plus en plus lourdes mais le système des libérations conditionnelles libérer ces criminels de plus en plus tôt. Nous libérons sur le même principe à savoir qu’il faut que la punition soit la plus courte possible pour que le criminel puisse se réhabiliter. Pire, nous libérons des criminels dangereux dans le parfait anonymat et nous trafiquons les statistiques sur la récidive afin de faire croire que notre système carcéral fait du bon boulot.

La justice ne fait plus peur aux criminels, ni aux récidivistes…»

L’avis des jeunes

  • Anne Delbecchi
    26 ans, étudiante en langue moderne

«On peut difficilement parler de peines imposées en ce moment sans évoquer les derniers scandales financiers. Dans l’affaire Lacroix par exemple, je pense que oui, la sanction du juge était trop légère pour des actes si lourds de conséquences. Surtout qu’en réalité, l’ancien chef de Norbourg devrait retrouver sa liberté l’année prochaine. Et ça semble être l’avis général.

Il faudrait peut-être réévaluer les peines pour tous les délits… Est-ce que celui qui floue des milliers de personnes mérite le même nombre d’années en prison qu’un meurtrier? En attendant qu’on trouve la réponse, il y a sûrement beaucoup de détenus qui coûtent cher et pour qui la cellule n’est pas une solution.»

  • Démétri Doroftei
    28 ans, fonctionnaire

«Selon moi, la question devrait plutôt être «Est-ce que le système de justice doit être connecté à l’opinion publique?» Oui et non. L’opinion publique peut être un bon indicateur des valeurs d’une société, mais celle-ci peut-elle se permettre de dicter ses vues à notre système de justice?  

Dans notre société démocratique, l’opinion publique détient tout de même un certain pouvoir sur la justice, ou devrais-je plutôt dire sur les législateurs. Un crime est un crime seulement si l’opinion publique juge un geste comme criminel. Prenons l’exemple de la consommation de cannabis. Si l’ensemble de la population en vient à considérer son utilisation comme une pratique acceptable, celle-ci demandera donc aux législateurs élus de modifier la loi. On peut donc dire que le système de justice doit rester connecté sur l’opinion publique.   

Cependant, pour ce qui est de la promulgation d’une peine, le système de justice ne devrait pas, selon moi, prendre en considération la voix de l’opinion publique. Cette dernière va plutôt chercher à combler son sentiment de vengeance. Il deviendrait trop facile pour les législateurs d’utiliser un crime grave, dénoncer par la totalité de l’opinion publique, pour rouvrir le débat sur une peine plus sévère, comme la peine de mort.»

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