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Au-delà de la vengeance: l'année en justice avec Anne-France Goldwater

De l’affaire Turcotte au procès Shafia, de nombreux dossiers judiciaires ont monopolisé l’attention médiatique en 2011, suscitant à la fois la colère et la fascination du public. Bien connue pour son langage coloré et ses prises de position tranchées, l’avocate en droit familial (et maintenant animatrice d’une émission judiciaire au canal V), Anne-France Goldwater, commente pour Métro les cas les plus marquants de l’année.

Avec le projet de loi C-10 adopté au début du mois de décembre, le gouvernement conservateur prévoit un durcissement des peines contre les jeunes contrevenants. Est-ce la fin du modèle québécois en matière de réhabilitation?
Il serait extrêmement dangereux de briser l’équilibre que nous avons trouvé ici, au Québec, en la matière. Tous souhaitent que les sentences envers les criminels soient mieux respectées, mais je crois que la société a un devoir différent envers les jeunes contrevenants. Dans leur cas, la réhabilitation doit être notre préoccupation principale. J’y tiens non seulement parce que j’habite au Québec, mais parce qu’il y a une logique à la chose. Il y a espoir de changer le destin d’un jeune contrevenant. Dans ce dossier, le fédéral a une attitude que je qualifierais de primitive!

Pourtant, avec C-10, le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, prétend agir au nom des victimes, ignorant du même coup les statistiques qui démontrent la baisse de la criminalité au pays. La justice devrait-elle vraiment se préoccuper du réconfort des victimes?
Ce n’est certainement pas le rôle du système de justice criminel. Le réconfort peut venir d’ailleurs. Les Conservateurs utilisent ici des arguments émotionnels contre des arguments rationnels. Ça n’a ni queue ni tête! Si vous voulez vraiment penser aux victimes, pensez aux jeunes contrevenants et à ce qu’ils deviendront dans 10 ans. Sans les outils pour les réhabiliter ou pour faciliter leur réinsertion sociale, nous allons créer des criminels endurcis qui causeront plus de tort dans les années à venir. Penser aux victimes, c’est penser à la réhabilitation plutôt qu’à la vengeance.

En juillet, le cardiologue Guy Turcotte a été jugé non criminellement responsable du meurtre de ses deux enfants pour cause de troubles mentaux. Croyez-vous que la justice a bien fait son travail dans ce dossier?
Totalement. Ça m’a vraiment choqué de voir à quel point les gens ont mal compris le travail du jury. Le jury n’est pas là pour assouvir la vengeance. Leur travail, c’est de rendre justice, et rendre justice implique parfois de prononcer un verdict impopulaire. Les membres du jury ne se sont pas sentis obligés de rendre le verdict que tout le monde attendait. Ils ont écouté la preuve qui était devant eux, et ça, c’est fort. C’est la meilleure preuve de l’intégrité du système judiciaire.


Comment expliquer le violent désaccord du public par rapport au verdict qui a été rendu?

La réaction du public a démontré un esprit très vindicatif. Dans ce genre de cas, il faut laisser passer les émotions et évaluer les choses froidement. Je comprends l’émotivité du public par rapport au cas Turcotte, mais il faut laisser la justice faire son travail. Sinon, qu’elle est la meilleure forme de dissuasion? On peut prendre tous les hommes, les aligner contre un mur et mettre une balle dans la tête de chacun! Ensuite, il n’y a plus aucun problème de récidive et toutes les victimes sont bien heureuses…

Considérez-vous toutefois que ce genre de verdict brise la confiance de la population envers le système de justice?

Ce qui brise la confiance des gens, c’est le détachement. Auparavant, au sein des petites communautés, un procès était tout un événement. Beaucoup de gens pouvaient assister aux procédures. Aujourd’hui, combien de fois vais-je assister à des causes intéressantes dans des salles d’audience vides? Les gens ont perdu toute intimité avec leur cour de justice, et ça, c’est extrêmement triste. Du moment où plus personne ne comprend les tenants et les aboutissants d’une affaire, n’importe qui peut écrire une chronique sur un procès dans les médias et le public prend son opinion pour du cash!

Le procès de trois membres de la famille Shafia, accusés d’avoir orchestré la mort des trois filles et de l’ex-épouse du père, a mis de l’avant un type de crime très rare au Québec. Que pensez-vous de la notion de «crime d’honneur»?
Je déteste cette expression. Il n’y a aucun honneur là-dedans. L’honneur de cet homme réside entre les jambes de ses filles et de sa femme. Je suis estomaquée de voir à quel point nous oublions la qualité de vie des femmes dans notre société, de voir à quel point nous prenons pour acquis le fait d’avoir éliminé autant de discriminations envers les femmes, ici, au Québec. Ce cas n’est pas une question de «crime d’honneur», mais bien un rappel sur l’importance de protéger la condition féminine.


Selon vous, il y a donc toute une dimension de choc culturel qui entoure le procès Shafia?

Pour moi, le procès Shafia démontre que nous n’en faisons pas assez pour intégrer les nouveaux arrivants. Notre grande tolérance envers les immigrants ne devrait pas être synonyme de laisser-aller. Le père Mohammad Shafia fait face aujourd’hui à des conséquences qui n’existent pas dans son pays d’origine. C’est pourquoi je pense que le gouvernement n’en fait pas assez pour faire comprendre aux communautés culturelles, dès leur arrivée au pays, ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.


Y a-t-il des cas moins médiatisés qui vous ont  marqué en 2011?

La nomination, en octobre dernier, de la juge Nicole Duval Hesler au poste de juge en chef du Québec (une première pour une femme) m’a touchée profondément. Avec Beverley McLachlin au fédéral, nos deux juges en chef sont maintenant des femmes, un exemple à suivre pour le reste de la planète en fait de liberté féminine!

Ensuite, je suis particulièrement fière du projet de loi 51, déposé au Québec en décembre, et qui vise à mieux protéger les droits des animaux. Ça me blesse dans mon orgueil lorsque j’entends parler du Québec comme la capitale des usines à chiens. Je crois que notre volonté de protéger les êtres les plus vulnérables démontre un niveau de civilisation très élevé. S’il existe une volonté sociale de sauver les animaux, quelqu’un devrait maintenant expliquer aux Conservateurs que les jeunes contrevenants ont eux aussi droit à un peu d’espoir.

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